Elle traverse d’un pas pressé le parking de ce restaurant de Quimper, jeudi 3 octobre. Emmanuelle Rasseneur, 47 ans, s’excuse du retard. Il y avait foule au bureau de poste d’où elle a expédié la lettre de démission de ses mandats de maire (divers gauche) de Gourlizon (Finistère), village de 937 habitants, et de première vice-présidente de la communauté de communes du Haut Pays Bigouden. Dans l’enveloppe adressée au préfet du Finistère, l’élue a glissé un texte de sept pages détaillant sa décision de mettre un terme à plus de quinze années d’engagements politiques. « Je suis épuisée. Il était temps que je pense à moi et me protège. J’espère que le préfet lira mon rapport pour comprendre la systémique maltraitance des maires », souffle Emmanuelle Rasseneur.
La quadragénaire plante son regard azur dans celui de son interlocuteur lorsqu’elle explique son mal-être qui fait écho à celui de tant d’élus. Une vague de démissions chamboule d’ailleurs les conseils municipaux du pays. Le nombre d’arrêts est « exceptionnellement élevé » d’après une enquête de l’Association des maires de France et du Cevipof, intitulée « Des maires engagés mais empêchés ».
Selon cette étude, publiée en novembre 2023, quelque 1 300 maires et des dizaines de milliers de conseillers municipaux ont jeté l’éponge entre juin 2020 et juillet 2023, soit une augmentation de 30 % du nombre de retraits par rapport au mandat précédent. Rien que dans le Finistère, la préfecture compte dix-sept maires démissionnaires depuis juin 2020. Emmanuelle Rasseneur est donc la dix-huitième. Un autre l’a imité, lui aussi « usé » par la défiance et l’agressivité de certains de ses administrés. Il s’agit de Patrick Tanguy, 64 ans, maire du Juch, le village voisin de Gourlizon.
« Experte en tout » pour 1 800 euros
Devant un café fumant, Emmanuelle Rasseneur reprend : « Les maires, particulièrement des petites communes, œuvrent dans une insécurité permanente. Nos missions sont de plus en plus complexes dans un contexte de manque de moyens et de soutien général. Je sentais le risque juridique se rapprocher alors j’ai préféré arrêter avant de me retrouver devant un tribunal. » Epaulée par seulement un agent technique et deux administratifs en mairie de Gourlizon, l’élue décrit ses années à « bidouiller » notamment lors de la rédaction de dossiers d’urbanisme ou de marchés publics, toujours plus techniques à cause d’une « inflation législative ».
Et puis, il y a ces appels en pleine nuit pour constater un suicide, ces injonctions à improviser un plan de mise à l’abri de la population quelques heures avant une tempête, ces hospitalisations d’office d’une personne menaçant d’abattre son voisin… Emmanuelle Rasseneur en avait assez d’être une élue couteau suisse censée « être experte en tout » et « disponible à toute heure » pour 1 800 euros net mensuels. Longtemps cadre de la fonction publique à mi-temps pour assumer ses mandats, elle s’agace : « Même lorsque je sortais mes poubelles le dimanche soir, il y avait toujours quelqu’un pour m’interpeller avec cette formule : “Tiens, ça tombe bien que je te vois !” Si j’avais le malheur de couper court, on me reprochait de ne pas être à l’écoute de mes concitoyens. »
Il vous reste 43.75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.