FRANCE 3 & ICI PAYS DE LA LOIRE – JEUDI 20 FÉVRIER À 22 H 50 – DOCUMENTAIRE
Tout perdre. Perdre son métier, perdre ses terres, perdre son outil de travail, perdre ses bêtes, perdre ses nerfs. Mais garder la tête haute. L’histoire de Jean-Pierre Lambert, paysan de 68 ans, installé dans une petite ferme de la Sarthe, est celle d’une chute, longue et douloureuse, dans les méandres des administrations et de leurs requêtes, des politiques agricoles et de leurs zones d’ombre, des règles environnementales et de leurs contraintes, du monde paysan et de sa transformation radicale depuis trente ans.
Jean-Pierre Lambert a grandi dans un petit village paisible, là où son père exploitait une cinquantaine d’hectares en agriculture biologique. Il en a acquis l’envie de travailler la terre et les bêtes en respectant cette nature dont il connaît instinctivement les respirations et les besoins. Une première installation, pas très loin, se termine mal. Les sols sont pauvres, et lui avec. Il abandonne. Revient sur les terres modestes de sa famille. Commence à les exploiter en biodynamie, construit une grange, et fait tourner sa petite économie avec les bovins vendus à l’abattoir. Sans jamais acheter de semences, d’engrais ou de pesticides. Sans non plus obtenir les primes versées aux autres agriculteurs pour les pousser à la productivité et aux volumes toujours plus importants.
Grange brûlée
Les difficultés s’accumulent, et le paysan − « pas un exploitant agricole », insiste-t-il − se referme sur lui-même. Il n’ouvre plus ses courriers, ne paie plus ses cotisations à la Mutualité sociale agricole, n’assure plus la prophylaxie obligatoire pour ses animaux. Il arrête son activité agricole et devient salarié dans une pépinière. Mais les dettes ne cessent de s’accumuler. Jusqu’à l’impasse, les huissiers, les saisies et les gendarmes. Jusqu’à la détention en maison d’arrêt, pendant trois semaines, pour avoir mis le feu à sa propre grange par colère et désespoir après le départ forcé, sous la surveillance des forces de l’ordre, de ses animaux.
La force du documentaire est de donner la parole à Jean-Pierre Lambert, en cheminant avec lui et sa grande barbe blanche dans ses champs, ses chemins, sa grange en partie brûlée et sa petite maison. Pas de voix off de journaliste, mais ses mots, sa subjectivité, ses douleurs, pour décrire une vie de labeur et d’incompréhensions. Il ne raconte pas à lui tout seul l’histoire de l’agriculture française, de son cortège d’exploitations abandonnées. Une partie des agriculteurs ont en effet trouvé leurs comptes dans la course à l’agrandissement et à la rentabilité ; des industriels ont continué à faire leur beurre en pariant, comme la grande distribution, sur la course aux bas coûts.
Jean-Pierre Lambert parle des perdants, des exclus, des marginaux d’une profession sous pression. Parmi eux, certains se sont suicidés − un tous les deux jours en moyenne en France. Lui s’est battu contre le système agricole puis contre le système judiciaire. « C’était pas une utopie de faire de l’agriculture comme je l’ai faite. Si l’on avait fait les comptes de ce que coûte un agriculteur à la société, j’étais efficace », conclut le paysan de sa voix douce.
Jean-Pierre Lambert, paysan, numéro d’écrou 14 448, documentaire réalisé par Olivier Bauer (Fr., 2024, 52 min) France 3 & Ici Pays de la Loire.