En créant le Carter Center en 1982, à l’issue de sa présidence, Jimmy Carter, mort le 29 décembre à l’âge de 100 ans, lui avait d’emblée fixé des objectifs dont l’ambition dépassait amplement celle des fondations lancées par les autres présidents : « Travailler à la paix, combattre les maladies, construire l’espoir ». Et de fait, ce centre, basé à un jet de pierre de la maison de Martin Luther King à Atlanta dans sa Géorgie natale, est devenu une étonnante plate-forme d’actions politiques, caritatives, sanitaires dans plus de 80 pays, ainsi que d’accueil, de débats et de soutien pour de multiples militants des droits de la personne.
Carter en était l’âme, l’animateur et le visage, entouré d’une importante équipe de professionnels et d’experts de différentes disciplines. Mais tout avait été conçu, depuis les années 1990, pour assurer, au-delà de sa personne, la pérennité de la structure, dont les financements (600 millions de dollars de dotations en 2015) sont privés et dont le conseil d’administration est composé de personnalités indépendantes.
Travailler à la paix, cela signifiait intervenir personnellement dans de nombreuses médiations et conférences pour prévenir ou résoudre des conflits (en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine…) mais aussi envoyer des observateurs pour veiller au bon déroulement de scrutins électoraux dans le monde (le centre en a surveillé plus d’une centaine, récemment en Tunisie, au Mozambique, en Birmanie), des experts pour aider à la rédaction de constitutions respectueuses de la démocratie, des professeurs et juristes pour conseiller en matière de justice et de transparence gouvernementale.
Les urgences du monde
« Combattre les maladies » était la volonté d’éliminer les pathologies évitables et touchant les plus pauvres, comme l’éléphantiasis et la cécité des rivières, en lançant d’immenses programmes internationaux basés sur l’éducation et des méthodes simples et peu coûteuses. Sur ce plan, le succès incontestable de l’équipe Carter a été la lutte contre la dracunculose, ou maladie du ver de Guinée, une infection causée par un parasite présent dans l’eau, et en passe d’être éradiquée, ce qui en ferait la seconde, après la variole, à disparaître dans le monde, et la première à le faire sans vaccin ni médicament.
Un défi auquel s’était attelé Jimmy Carter en 1986 après avoir observé les souffrances atroces d’une jeune Ghanéenne et alors qu’on estimait à 3,5 millions le nombre annuel de cas en Afrique et en Asie. « Je voudrais que le dernier ver de Guinée meure avant moi », déclarait-il en janvier 2015 alors que son centre annonçait qu’il n’y avait plus que 22 cas répertoriés en Afrique.
Mais après sept décennies en politique, des voyages dans 145 pays, et un travail de plus de trente ans, dans le cadre de sa fondation, auprès des populations les plus éprouvées de la terre, Jimmy Carter s’était convaincu que, s’il était une priorité à établir dans les urgences du monde, un sujet « plus grave que tous les autres, aux conséquences effroyables mais auquel personne ne s’attaque encore sérieusement », c’était celui des inégalités entre les sexes et des souffrances infligées aux femmes et aux petites filles.
« Je consacrerai à ce combat pour l’égalité des femmes toute ma passion, toutes mes forces, pour le reste de ma vie » – Jimmy Carter
Il en avait fait un combat personnel, exprimant dans un livre – Au nom des femmes (Salvator, 2015) – sa conviction que les religions et l’interprétation fallacieuse de la Bible et du Coran étaient à l’origine de l’assujettissement des femmes. Un assujettissement qui le révulsait et qui, démontrait-il, était à l’origine de crimes massifs, d’esclavage, de mutilations, de viols, de trafics humains, et, quel que soit le pays, de différences de salaire à travail égal.
Il avait invité au Carter Center des leaders religieux de tous ordres, y compris le grand imam de l’université Al-Azhar au Caire et avait écrit au pape François. « Je consacrerai à ce combat pour l’égalité des femmes toute ma passion, toutes mes forces, pour le reste de ma vie », disait-il en 2014, lors d’un passage à Paris. Toutes les priorités de sa fondation avaient été revues dans cet objectif.