La revue des revues. Le mot « réparation », qui évoquait autrefois les plaisirs du bricolage, renvoie désormais à des aspirations psychologiques, sociales, philosophiques ou politiques : depuis quelques décennies, nous rêvons de « réparer » des choses aussi immatérielles que les tragédies historiques, les offenses personnelles, les préjudices psychiques, les malheurs conjugaux ou les injustices professionnelles. Cette quête, résume la professeure de science politique belge Justine Lacroix dans la revue Esprit, s’est imposée comme « l’un des principaux mots d’ordre de la période contemporaine ».

Comment satisfaire cette puissante aspiration à la « réparation » ? Les sociétés endeuillées par des drames individuels ou collectifs peuvent-elles répondre à ces nouvelles attentes ? C’est cette question qu’explore, en mars, la revue Esprit, dans un numéro d’une grande richesse : des intellectuels, des magistrats et des avocats y analysent les bienfaits – et les limites – du procès pénal, mais aussi les chemins de traverse esquissés, ces dernières années, par des instances destinées à satisfaire la soif de réparation des victimes, comme la justice transitionnelle ou la justice restaurative.

Nouvelles formes de justice

Si nos contemporains se tournent vers ces nouvelles formes de justice, souligne le magistrat Antoine Garapon, auteur de Peut-on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah (Odile Jacob, 2008), c’est parce qu’elles « s’émancipent des formes trop rigides du droit ». « Non qu’elles en contestent la nécessité, poursuit-il, mais parce qu’elles veulent une justice plus intégrale, qui prenne en considération la part de vie empêchée par le crime. (…) Le crime contre l’humanité ou l’inceste sont des crimes d’institution qui affectent, voire détruisent, la possibilité même de la constitution de l’humain. »

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La politiste Valérie Rosoux revient ainsi longuement, dans ce numéro, sur une expérience singulière menée dans les années 2020-2022 sur le passé colonial de la Belgique. Cent cinquante auditions, des visites au Congo, au Rwanda et au Burundi, deux volumineux rapports : la commission spéciale du Parlement chargée d’étudier la question de l’ouverture des archives, du changement des noms de rue ou des compensations financières a finalement achoppé sur le problème des excuses officielles. Malgré cet échec, souligne Mme Rosoux, son travail a permis à la mémoire de « respirer » et de « ruisseler » – ce qui n’est pas rien.

Lire aussi (2022) : « En Belgique, la question des excuses pour le passé colonial ne se pose pas comme en France »

La réparation emprunte parfois des chemins plus éloignés encore du monde de la justice. Frédérique Leichter-Flack, professeure au centre d’histoire de Sciences Po, évoque ainsi la littérature de témoignage sur les violences de masse, qui « poursuit d’autres fins que la déposition judiciaire » : dans ses ouvrages, Vassili Grossman tente ainsi, non pas de juger, mais de comprendre « ce que le totalitarisme fait aux hommes », tandis que Franz Kafka ou Gogol explorent le « fossé, impossible à combler, entre la perception du dommage par la victime et la perception de la situation par les tiers garants de toute justice possible ».

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