Quel phénomène ! On veut parler d’un documentaire de deux heures trente où l’on voit l’influenceur de 22 ans, Inoxtag, de son vrai nom Inès Benazzouz, pas vraiment sportif mais bien préparé, gravir l’Everest. Le Toit du monde ; 8 848 mètres. Le film se situe dans les mêmes hauteurs : pas moins de 300 000 spectateurs dans les cinémas de France en douze heures à peine, entre la soirée du vendredi 13 et la matinée du samedi 14 septembre, avant que le film, à 14 h 30, change de support et soit diffusé gratuitement sur YouTube. Où il a atteint le chiffre ahurissant de 26 millions de vues en six jours.
Kaizen. 1 an pour gravir l’Everest déborde de sincérité. Il a autant suscité l’émotion folle des fans qu’une avalanche de critiques. Il est vrai que le héros est à la fois humble et narcissique, vante l’aventure tout en maniant le placement de produits à l’écran, dénonce la montagne polluée et participe à la souillure.
Penchons-nous sur une petite révolution : jamais on n’avait sorti un film payant en salle, puis le lendemain gratuit sur YouTube, dans les deux cas avec succès. Les millions de vues sur YouTube disent le tourbillon d’Internet, qu’il faut relativiser un chouïa, une vue étant comptabilisée dès trente secondes de visionnage.
Le résultat au cinéma est, lui, plus intrigant. Le film étant à l’affiche quelques heures à peine, les fans se sont rués sur les sites de réservation, au point que certains ont disjoncté – il a d’ailleurs fallu ajouter des séances en catastrophe, dans les villes comme dans les zones rurales.
Pourquoi un public intensément jeune a-t-il payé une place pour un film qu’il pouvait voir gratuitement le lendemain sur son ordinateur ? Pour les gens de cinéma, la réponse est évidente : l’aura inoxydable du grand écran. C’est vrai mais réducteur. Inoxtag a 8,6 millions d’abonnés sur YouTube, 5,9 millions sur TikTok et 5,8 millions sur Instagram. Il peut compter sur eux suivant un attachement communautaire. Il aurait pu les convoquer dans un champ façon Woodstock, ils seraient venus. Ses fans avaient d’abord le désir furieux de participer à un événement collectif, d’en être, de se retrouver. Dans beaucoup de salles, des jeunes applaudissaient au milieu.
Manuel de développement personnel
Kaizen n’est pas qu’un film. C’est aussi une succession étirée de posts façon Instagram, avec pour fil conducteur un exhibitionnisme dont les réseaux sociaux sont friands. C’est autant l’histoire d’une ascension qu’un manuel de développement personnel – son titre est un concept emprunté au manga One Piece, visant à s’améliorer de jour en jour pour réaliser ses rêves. La question n’est plus tant de savoir si c’est un film ou s’il est bon, mais s’il change la vie des fans.
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