« C’est un grand moment, un événement mondial ! », s’enthousiasme Dorothée, les yeux plantés dans la caméra. A l’extérieur, sur le parking des studios AB de la Plaine Saint-Denis, une minifusée vient de décoller et, dans la foulée, un hélicoptère miniature téléguidé atterrit sur le plateau, sous le regard de l’animatrice et de ses acolytes, Ariane, Jacky et Corbier : il porte sur son flanc une petite carte noir et or, avec deux mots en caractères manuscrits si reconnaissables pour les enfants de cette génération. Nous sommes le 27 mars 1991, la carte de membre du Club Dorothée vient d’être lancée en grande pompe.
Accessible gratuitement sur demande, cette carte est l’exemple le plus concret de la capacité fédératrice unique qu’ont eue cette émission pour enfants et, plus largement, l’univers d’AB Productions. Elle permettait d’assister en priorité aux émissions, de recevoir des photos dédicacées, de rencontrer les vedettes en coulisses lors de leurs concerts et, bien sûr, de voir son nom défiler dans l’interminable liste du générique de fin du « Club Dorothée » lorsque venait le jour de son anniversaire. Bref, de faire partie de la famille. Deux ans plus tard, le Club Dorothée totalisait 350 000 membres, puis 500 000 en 1995, jusqu’à atteindre 700 000 lors du dernier été, en 1997. Aujourd’hui, la carte est un objet collector qui se revend autour de 50 euros sur Internet.
Aucune émission pour enfants n’a eu cette force de frappe dans le temps et dans l’espace. Le matin avant l’école, en fin d’après-midi pour le goûter, le samedi et le dimanche matin ainsi que le mercredi quasiment toute la journée : de 1987 à 1997, le « Club Dorothée » était omniprésent sur la première chaîne. Sans parler de Dorothée Magazine, des concerts, des CD… Aucun enfant, y compris ceux qui ne regardaient pas ces programmes, n’a pu y échapper. « Une intrusion télévisuelle quotidienne nous a fait entrer dans la vie de millions de gens. Certains me disent parfois qu’ils ont passé plus de temps avec moi qu’avec leurs parents. S’il n’est pas ici question d’un lien familial, de quoi s’agit-il ? », interroge ainsi Bernard Minet, le batteur des Musclés, le groupe de musiciens de l’émission, dans sa biographie Ma vie de folie (Mareuil, 2015).
« Une unité qui n’existe plus »
Un « lien familial », peut-être, un lien affectif, sûrement, qui résiste encore de manière irrationnelle. Il n’y a pas longtemps, Dorothée a croisé dans la rue un ancien fan de son club : « Il s’est tout de suite mis à pleurer », rapporte-t-elle. « Ce sont des souvenirs d’enfance, c’est normal que cela provoque ce genre de réaction. D’ailleurs, ça arrive souvent que les gens pleurent quand ils me rencontrent. Du coup, je me mets à pleurer aussi », poursuit-elle de sa voix enjouée, toujours aussi reconnaissable.
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