Alors que le gouvernement indien se targuait d’avoir démantelé l’« écosystème terroriste » dans le Jammu-et-Cachemire, ce territoire a été le théâtre, le 22 avril, d’une attaque meurtrière visant des touristes à Pahalgam. L’Inde a riposté en lançant l’opération « Sindoor » – le nom de la poudre vermillon appliquée sur le front des épouses hindoues – et bombardé, dans la nuit du 6 au 7 mai, neuf « infrastructures terroristes » au Cachemire et dans le Pendjab pakistanais. Dénonçant un « acte de guerre », Islamabad a affirmé avoir abattu cinq avions indiens, dont des Rafale. Après plusieurs nuits d’affrontements, les deux pays ont annoncé un accord de cessez-le-feu, le 10 mai.
Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et auteur de Cachemire. Au péril de la guerre (Autrement, 2002), analyse les ressorts de cette crise ancienne. Une fois encore, la spirale des violences a pour origine la question de ce territoire himalayen, à majorité musulmane et dont la souveraineté est disputée.
Interrogé sur les suites de l’attentat de Pahalgam, le président américain, Donald Trump, a rétorqué que « ce conflit existe depuis un millénaire »…
Rien n’est plus faux. L’origine du différend sur le Cachemire remonte à 1947, année de l’accession à l’indépendance de l’ancien Empire britannique des Indes. La question ne se résume pas à un conflit territorial où s’affronteraient des intérêts étatiques opposés et des logiques de pouvoir, même si cela ajoute à l’imbroglio. Elle a pour source le syndrome de la partition, c’est-à-dire la montée d’un antagonisme croissant, dans les années 1940, entre les principales forces politiques, le Parti du Congrès d’une part et la Ligue musulmane d’autre part, alors que se profilait le départ des Britanniques.
La partition de 1947 était-elle une fatalité ?
La population de l’Inde coloniale était composée d’une majorité d’hindous (près des deux tiers), d’une forte minorité musulmane (environ un quart), auxquelles s’ajoutaient les minorités sikhe, chrétienne et autres. Dans les années 1930, sous l’impulsion de figures comme Gandhi [1869-1948] et Nehru [1889-1964], le Parti du Congrès s’est imposé comme la principale force politique du pays. Il revendiquait l’indépendance de l’Inde à travers le projet d’un Etat uni, rassemblant les communautés du sous-continent. De son côté, la Ligue musulmane, dirigée par Mohammad Ali Jinnah [1876-1948], défendait la création d’un Etat pour les musulmans, craignant leur marginalisation dans une Inde majoritairement hindoue. Le débat ne portait donc pas seulement sur l’indépendance, mais sur la nature de la citoyenneté. La Ligue musulmane tendait à considérer la population non pas comme un ensemble d’individus citoyens, mais comme une agrégation de communautés religieuses, envisagées chacune comme un électorat distinct.
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