François Bayrou a commencé ce mercredi un cycle de discussions avec les autres forces politiques autour de la proportionnelle, un mode de scrutin qu’il défend depuis deux décennies.
Le sujet avait déjà été mis sur la table par les précédents présidents, mais jamais mis en place.
Plusieurs partis soutiennent cette piste, mais reste à savoir précisément quel modèle de scrutin proportionnel choisir, une tâche loin d’être aisée, explique le constitutionnaliste Benjamin Morel.
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Il avait promis d’en faire l’un de ses chantiers prioritaires. Le Premier ministre François Bayrou a enclenché ce mercredi 30 avril une série de consultations avec les groupes politiques sur l’élection des députés à la proportionnelle (nouvelle fenêtre), à commencer par le Rassemblement national. Contrairement au mode de scrutin actuel, majoritaire à deux tours, ce système électoral permettrait d’accorder un nombre d’élus au prorata des suffrages obtenus par les partis candidats. Un cheval de bataille de longue date du chef de gouvernement.
Ce n’est pas la première fois que l’idée s’invite sur la scène politique, mais jusqu’alors, elle ne s’était jamais concrétisée. De la gauche au RN, cette piste est majoritairement soutenue, à l’exception des Républicains et le groupe macroniste Ensemble pour la République, à rebours des anciennes positions du président lui-même (nouvelle fenêtre). Mais dans le détail, tout le monde n’a pas les mêmes intérêts, et ne privilégient donc pas le même modèle de proportionnelle, dont les variantes sont nombreuses, explique à TF1info.fr le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Pourquoi ce sujet revient-il sur la table maintenant ?
La plupart des présidents qui ont été élus ces dernières années, dont François Hollande et Emmanuel Macron, avaient placé la proportionnelle dans leur programme. Mais comme jusqu’à présent, le mode de scrutin actuel donnait des majorités absolues, la proportionnelle pouvait leur poser problème : s’ils voulaient se représenter, ils n’auraient pas pu obtenir de majorité absolue dans ce scénario. Il était donc urgent d’attendre (nouvelle fenêtre)…
Mais désormais, la configuration est différente. Tout d’abord, Emmanuel Macron ne peut pas se représenter, donc cet argument d’inertie saute. Ensuite, François Bayrou est très attaché à ce sujet depuis très longtemps (nouvelle fenêtre), estimant que ce mode de scrutin serait plus représentatif, ce qui est plutôt vrai. Historiquement, sa petite formation centriste pouvait peser beaucoup aux élections présidentielles, mais elle se retrouvait ensuite mise en étau entre les deux grands camps de l’époque, le PS et l’UMP. Il était le troisième homme à la présidentielle en 2007, mais le MoDem n’avait obtenu que deux sièges à l’Assemblée nationale ensuite, dont le sien.
Enfin, le mode de scrutin majoritaire à deux tours a cessé de produire des majorités. La plupart des partis qui espéraient jusqu’alors avoir tous les pouvoirs s’ils remportaient les élections peuvent donc aujourd’hui avoir intérêt à la proportionnelle.
Quels seraient justement les partis qui pourrait profit d’un changement du système de vote ?
Tout dépend de la forme de proportionnelle : c’est là le cœur du problème. Par exemple, le RN aurait plus de députés avec une proportionnelle aujourd’hui, mais il aurait plus de mal à avoir une majorité absolue, car il devrait être capable d’obtenir 50% des voix. Alors qu’il peut espérer cette majorité avec le mode de scrutin actuel. D’où le fait qu’il propose une proportionnelle avec une prime majoritaire fixée à 25%, ce qui signifie que 25% des sièges reviendraient à la liste arrivée en tête.
Du côté de la gauche, les partis sont traditionnellement assez favorables à la proportionnelle (nouvelle fenêtre). En revanche, les socialistes sont partagés, car la situation stratégique a changé pour eux. Ces députés ont été élus pour la majeure partie grâce à l’union de la gauche, or si cette dernière explose, ce qui a déjà un peu commencé (nouvelle fenêtre), ils auront face à eux a minima un candidat insoumis en cas de dissolution. À partir de là, cela devient très compliqué de passer le premier tour et d’être élu au deuxième. À peu près les deux tiers du groupe socialiste sont ainsi sur un siège éjectable, et ont donc plus intérêt à épouser la proportionnelle. C’est même une question de survie.
À la sortie de Matignon ce mercredi, Marine Le Pen semblait toutefois prête à faire des concessions sur la question de la prime majoritaire…
La question qui va se poser, c’est de savoir s’il y a en effet des acteurs politiques qui peuvent arriver à converger autour du principe de la proportionnelle, bien qu’un tel ou un tel ait plus intérêt à une certaine forme de proportionnelle. C’est possible, mais pour l’instant, on est encore face un jeu de postures. Les choses pourraient être beaucoup plus compliquées au moment de poser la question de l’option de proportionnelle retenue. Et j’ai l’impression que les partis sont très en retard sur la question, car beaucoup d’entre eux ont une connaissance très superficielle des modes de scrutin.
Dans le détail, il y a énormément de variables qui vont compter, notamment le seuil de voix à partir duquel les partis vont être représentés, qui change tout. Si vous le fixez à 1%, comme aux Pays-Bas, vous vous retrouvez avec plein de groupes à l’Assemblée nationale, alors qu’en Allemagne par exemple, où il monte à 5%, il y a six groupes seulement. Il y a ensuite plein d’autres facteurs, comme le nombre de tours, cette prime majoritaire… Ou encore la taille de la circonscription d’élection : le département, comme le propose François Bayrou (nouvelle fenêtre), la région, la nation ?
Bayrou plaide pour la proportionnelleSource : TF1 Info
Il semble donc peu probable que les acteurs politiques tombent d’accord dans les mois à venir ?
Cela dépend. La proportionnelle par département prônée par François Bayrou, une mauvaise solution à mon sens, pourrait tout de même convaincre les partis. Cela pourrait alors aller assez vite : le vote d’une loi ordinaire, sans modification constitutionnelle et donc relativement rapide à voter, qui pourrait être adoptée d’ici l’été.
Reste tout de même un principal frein pour François Bayrou : la position de LR. Le parti aurait plus de députés avec la proportionnelle qu’il en a aujourd’hui, mais ses députés actuels ont été élus grâce à leur ancrage, ce sont des survivants. En cas de proportionnelle, ils risquent de perdre leur siège, car le groupe aurait plus d’élus, mais ce ne serait sans doute pas les mêmes. Et ça, c’est un problème : il faut convaincre les députés LR de se faire hara-kiri individuellement pour l’intérêt du parti. D’où l’opposition de leur chef de file Laurent Wauquiez (nouvelle fenêtre).
Pour François Bayrou, cela reviendrait à se tirer une sacrée balle dans le pied pour la suite. D’un point de vue arithmétique, il aurait largement une majorité pour faire voter la proportionnelle sans LR, mais cela implique de tirer sur ce parti avec l’aide du RN et de LFI. Quand vous voulez survivre en tant que Premier ministre, il y a plus malin à faire…
Si la proportionnelle par département finit malgré tout par passer, cela pourrait remodeler le visage de l’Assemblée nationale ?
A priori, on aura sans doute plus de députés RN, sans majorité absolue, et peut-être moins de centristes, mais les rapports de force resteraient à peu près les mêmes. En revanche, on aurait sûrement moins de difficultés à former des accords de compromis après l’élection. Contrairement aux trois coalitions actuelles, très étanches, la proportionnelle permet d’avoir des groupes politiques beaucoup plus libres. Ils peuvent plus facilement trouver un terrain d’entente, une fois leurs députés élus.