En 2004, le mensuel Technikart publiait un dossier intitulé « Je bosse donc je jouis ». Au travers de cette formule presque publicitaire se laissait saisir une vérité profonde : le travail est une forme de captation de notre énergie libidinale. Parfois, lorsqu’on est trop pleinement investi dans sa vie professionnelle, il devient difficile de désirer autre chose que le travail lui-même. Cela peut être dû à un excès de passion qui fait de votre labeur quotidien le réceptacle de pulsions ne s’exprimant plus (ou moins) par d’autres canaux.
Mais le plus souvent, c’est la fatigue et le stress qui vous laissent indisponible pour tout le reste. En 2012, une vaste enquête menée par le cabinet Technologia aboutissait à la conclusion que les problématiques intimes des salariés sont inextricablement liées aux pressions du milieu professionnel. Pour 66,6 % des sondés (70 % chez les cadres), le stress au travail a un impact négatif sur leur vie sexuelle et amoureuse, avec notamment des problèmes érectiles chez les hommes et de lubrification chez les femmes. Plus globalement, 72,6 % des répondants reconnaissent que la fatigue accumulée durant leur journée de travail les a déjà empêchés d’avoir une relation sexuelle le soir. « Ne jamais pouvoir faire l’amour quand on le désire, cela revient à donner au travail un pouvoir symbolique sur la vie personnelle, la vie amoureuse et sexuelle. Il arrive alors que certains salariés changent d’emploi pour de telles raisons, sans jamais l’expliciter officiellement », soulignait le rapport.
Emprise du travail sur nos désirs
La massification du travail hybride à la suite de la pandémie a semblé défaire partiellement l’emprise exercée par la vie professionnelle sur nos désirs. Une sorte de nouvelle lune de miel avec sa propre organisation quotidienne. Gérer plus librement le temps durant la journée, se soustraire au panoptique de la vie de bureau, éviter les transports qui épuisent : tout cela contribue finalement à réorienter son désir ailleurs qu’entre les quatre murs de l’open space. D’après une étude QAPA de 2022, 72 % des personnes interrogées déclarent ainsi faire plus l’amour avec leur conjoint lorsqu’ils sont en télétravail.
A l’aune des mutations de cette économie libidinale, on peut interpréter l’actuel retour au bureau imposé par certaines entreprises comme une volonté de réinstaurer une exclusivité relationnelle, ainsi que le ferait un amant possessif (c’est lui ou moi !). Si Amazon ou J.P. Morgan veulent faire rentrer les salariés au bercail, ce n’est pas tant pour favoriser les interactions informelles et l’intelligence collective que pour éviter de voir leur énergie libidinale trouver de nouveaux débouchés.
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