Une oreille peu habituée à la liturgie catholique ne percevra peut-être pas dès le départ la différence. Comme dans une messe classique, on y chante Kyrie eleison (« Seigneur, prends pitié », en grec ancien), on y fait des signes de croix, et lorsque le prêtre lance « Le Seigneur soit avec vous », les fidèles répondent en chœur « Et avec votre esprit ». « C’est bien une messe catholique, qui suit le missel romain [trame liturgique validée par le Vatican] », tient à préciser Benoît Thevenon, 33 ans, étudiant aux Facultés Loyola – l’institut d’études supérieures des jésuites, à Paris – et coordinateur général de la « Messe qui prend son temps » (abrégée en « MT »).
Il ne s’agit pourtant pas d’une messe tout à fait comme les autres. La « MT » a été spécialement conçue par la Compagnie de Jésus pour s’adresser à la jeunesse, alors que seuls 30 % des Français de moins de 25 ans se définissent comme « chrétiens » (Odoxa, 2022) – contre 50 % de la population générale –, et qu’à peine 7 % des catholiques de moins de 30 ans vont à la messe le dimanche (d’après une étude de 2018 codirigée par l’Institut catholique de Paris).
La grande innovation de la « MT », qui se tient tous les dimanches à 19 heures dans l’église Saint-Ignace (Paris 6e), est précisément qu’elle « prend son temps ». Alors qu’une messe classique dure environ une heure, celle-ci s’étale sur quatre-vingt-dix minutes. Au milieu de l’office, la liturgie s’arrête net, et fait place au silence. Un déroutant silence de vingt minutes, durant lequel les fidèles sont invités à méditer, seuls, les textes qu’ils ont entendus. Une musique rappelle ensuite les fidèles à leur siège, et chacun est invité à échanger avec ses voisins, par groupes de trois ou quatre, sur ce qui l’a touché durant la cérémonie.
« Une liturgie adaptée »
Une petite révolution : dans un monde catholique où la plupart des activités tournent autour du prêtre et où l’on s’interroge sur les dérives du « cléricalisme » (la concentration des pouvoirs entre les mains des clercs), ici, tous les fidèles sont appelés à s’investir, que ce soit pendant la messe ou en amont, du choix des musiques à la rédaction des prières. « C’est une liturgie adaptée à certaines attentes de notre époque, avec une dimension individuelle – la prière personnelle – et une horizontalité assumées : tout le monde interagit et le clergé n’est pas seul à diriger », résume l’historien Charles Mercier, auteur de L’Eglise, les jeunes et la mondialisation (Bayard, 2020).
Depuis qu’il a pris le poste de coordinateur général il y a trois ans, Benoît Thevenon est à la fois le chef d’orchestre et le visage de la « MT ». Celui qui se destine à devenir prêtre à l’issue de son cursus en philosophie et en théologie tente de maintenir cet esprit de communauté. Tous les dimanches soir, il invite les fidèles à partager un pot, et une fois par mois, un dîner. Il propose aussi un « cadeau » aux nouveaux. « Je leur distribue des Kinder à la sortie, s’amuse-t-il. Cela peut paraître idiot, mais je me dis qu’ils se sentent accueillis. »
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