Les soirs de bouclage, Jean-François Kahn faisait venir un pianiste ou un joueur d’accordéon. Le type débarquait dans les volutes de fumées et le stress du dernier papier qu’on rédige et s’installait à son instrument. Et là, tout en relisant pratiquement tout le journal – Les Nouvelles littéraires, L’Evènement du jeudi (EDJ) ou Marianne, selon les époques – « JFK », comme on l’appelait communément, entraînait la rédaction à chanter un improbable répertoire mêlant de grands airs d’opéra ou des morceaux d’opérette et des hymnes révolutionnaires russes ou des chansons oubliées de la IIIe République que lui seul connaissait par cœur. « Les lecteurs sentent quand un journal se fabrique dans la gaieté », professait-il, avec un rire à la fois enfantin et tonitruant. Journaliste et patron de presse, fondateur de L’Evénement du jeudi puis de Marianne, Jean-François Kahn est mort, mercredi 22 janvier, à 86 ans.
Les lecteurs étaient son obsession. Jusqu’à il y a encore quelques années, Jean-François Kahn s’astreignait à des tournées dans toute la France pour tenir des conférences dans des salles de fêtes de sous-préfectures devant un public qui avait vieilli avec lui mais était resté fidèle à sa verve, son érudition et sa drôlerie. Cela lui donnait parfois une certaine prescience sur les évolutions du pays, au beau milieu de tirades de plus mauvaise foi que ce grand dévoreur d’idées goûtait en gastronome, comme ces plats en sauce qu’il a toujours adorés.
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