Dans le domaine de la vulgarisation scientifique, le mot « mystère » est parfois galvaudé, mais il convient encore de l’employer au sujet de Stonehenge. Les raisons pour lesquelles des humains du néolithique ont commencé, il y a cinq mille ans, à construire ce célèbre site mégalithique du sud de l’Angleterre nous échappent toujours. Une des énigmes concerne le bloc numéro 80, la pierre dite « d’autel », qui occupe le centre du cercle de mégalithes. On n’a qu’une idée floue de la date à laquelle elle est arrivée à Stonehenge, probablement vers le milieu du IIIe millénaire avant notre ère. On ne sait pas non plus si ce bloc, aujourd’hui couché, brisé et semi-enterré sous deux autres grandes pierres qui lui sont tombées dessus, se tenait autrefois debout. On ignore sa symbolique et sa fonction.
On s’est aussi posé bien des questions sur le lieu d’où il venait, l’hypothèse d’une origine galloise – avérée pour plusieurs autres pierres aux teintes bleutées – ayant été écartée il y a peu par Richard Bevins et Nick Pearce, deux chercheurs de l’université d’Aberystwyth (Pays de Galles), qui travaillent sur Stonehenge depuis une quinzaine d’années. Renforcé par des collègues de l’université Curtin (Perth, Australie), ce duo vient de surprendre son monde – et de se surprendre lui-même par la même occasion – en affirmant, dans une étude publiée par Nature mercredi 14 août, que la pierre d’autel provenait de l’extrême nord-est de l’Ecosse, soit à 750 kilomètres de Stonehenge ! Comme l’expliquait, le 13 août, Nick Pearce, lors d’une téléconférence de presse, ce résultat « était complètement inattendu. [Il] n’imaginai[t] pas une origine aussi lointaine ».
Un grès aux nuances verdâtres
Avant de se demander comment et pourquoi des humains de la préhistoire sont allés chercher si loin un bloc de 6 tonnes, il faut expliquer comment les chercheurs ont effectué cette étonnante découverte. Ce parallélépipède de 5 mètres de long, de 1 mètre de large et de 50 centimètres d’épaisseur est fait d’un grès aux nuances verdâtres. La géologie enseigne que le grès est une roche dite détritique, c’est-à-dire que les grains qui la constituent sont issus de la désagrégation d’autres roches plus anciennes. D’origines et d’âges divers, ils se sont ensuite réagglomérés pour former le grès.
Les auteurs de l’étude de Nature ont travaillé sur plusieurs grains (de zircon, d’apatite et de rutile) issus de la pierre d’autel, dont ils ont déterminé l’âge à l’aide de techniques de datation radiométrique. Celles-ci fonctionnent sur le même principe que la datation au carbone 14, dont on se sert pour les matériaux organiques. Mais si l’utilisation du carbone 14 ne peut aller au-delà de cinquante mille ans, les radio-isotopes scrutés par les géologues, tels l’uranium ou le lutécium, permettent de tracer les minéraux sur des milliards d’années. Ainsi, les grains de zircon issus de la pierre 80 remontent à une époque comprise entre un et deux milliards d’années.
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