La guerre éclair lancée contre la science par l’administration Trump est sans précédent, et elle choque plus encore de la part d’un pays démocratique. La brutalité des licenciements de fonctionnaires, de l’arrêt des financements, du blocage des programmes de recherche est sidérante. La dimension orwellienne de l’opération a éclaté avec la publication d’une liste de termes qui ne doivent plus être utilisés dans les recherches et les documents de travail – climat, pollution, injustice, référence au genre ou à la race… Au point que certains scientifiques commencent à imaginer des périphrases pour passer sous les fourches caudines des censeurs trumpiens.
Quand le langage est à ce point torturé, c’est que les faits dérangent. L’offensive trumpienne a des racines idéologiques, sous le couvert de lutte contre des fraudes ou gaspillages. Conformément à l’agenda du Projet 2025 concocté par des think tanks ultraconservateurs, il s’agit d’extirper du monde académique et des agences gouvernementales toute initiative en lien avec les programmes « diversité, équité et inclusion » (DEI). Mais aussi d’entraver les travaux qui documentent les atteintes au climat et à l’environnement, à la santé, et justifient des réglementations dont les industriels ne veulent pas.
Cette guerre contre la science aux Etats-Unis s’inscrit dans un contexte global de recul des libertés académiques. En 2024, 45,5 % de la population mondiale, soit 3,6 milliards d’individus, vivent dans un environnement qui en est dépourvu, selon un index développé par l’université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg (Allemagne). Sans surprise, on trouve en queue de classement la Chine, la Russie et l’Inde. Ces données, publiées annuellement, actaient un net décrochage des Etats-Unis depuis 2019, sous la pression des républicains. Nul doute que les prochaines éditions prendront acte de l’offensive en cours.
Entrée dans l’« âge d’or de l’ignorance »
L’accélération fulgurante à l’œuvre aux Etats-Unis suggère que ces libertés, si précieuses pour nourrir le savoir, mais aussi éclairer les conséquences qui peuvent découler de nos évolutions techniques, sont un bien fragile. L’« âge d’or de l’ignorance » dans lequel nous entrons, selon l’historien des sciences Robert Proctor, est marqué par une forme de lutte active contre l’établissement des faits – sur la réalité de la crise climatique et environnementale, sur les mécanismes à l’œuvre dans les injustices sociales. Quand tout n’est plus qu’affaire d’opinion, comme c’est le cas sur la majorité des réseaux sociaux et dans une partie des médias, le débat démocratique éclairé est entravé, voire empêché.
La science est une entreprise mondiale, souvent partagée. L’atteinte aux efforts de recherche américains aura des répercussions sur les programmes internationaux de collecte et d’interprétation de données essentielles à l’avenir de notre planète, mais aussi à la compréhension de l’Univers.
Que faire ? Un pays comme la France, qui peine déjà à offrir à ses scientifiques des conditions de vie et de recherche décentes, n’a pas les moyens d’accentuer l’initiative lancée par Emmanuel Macron en 2017 pour accueillir des scientifiques américains « dissidents ». L’échelle pour une politique d’accueil ambitieuse devrait être européenne. Tout comme les initiatives visant à dupliquer et à protéger les bases de données qui se trouvent menacées outre-Atlantique. Le moment, critique, exige une créativité de l’urgence, de la part tant des scientifiques que des dirigeants européens.