Histoire d’une notion. Depuis la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine, la « souveraineté alimentaire » semble devenue l’une des valeurs les mieux partagées. Des syndicats agricoles au gouvernement en passant par les représentants de la grande distribution et de l’agro-industrie, chacun s’en revendique haut et fort. Les deux mots ont même été ajoutés en 2022 dans l’intitulé du ministère de l’agriculture et sont au cœur de la future loi d’orientation sur le devenir de l’agriculture française.
Cette unanimité de façade masque pourtant de profondes divergences sur la portée des mots. Selon les différents acteurs qui s’en emparent, la souveraineté alimentaire n’a ni le même sens ni les mêmes objectifs. Retracer l’histoire de cette notion permet de mettre en lumière les enjeux politiques de cette polysémie.
Ses premières occurrences datent des années 1980, lorsque des syndicats agricoles d’Europe et d’Amérique centrale s’opposent aux discours portés par une agro-industrie en plein essor sur la « sécurité alimentaire » selon laquelle, pour nourrir la population mondiale, le lieu de production importe peu à partir du moment où chacun a accès à une nourriture suffisante.
Glissement sémantique
La première définition de la souveraineté alimentaire est donnée par La Via Campesina (« la voie paysanne », en espagnol), mouvement mondial de défense des petits producteurs et d’une agriculture locale respectueuse du travail des paysans. En réaction à la libéralisation du commerce des produits alimentaires et à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, le collectif définit, l’année suivante, la souveraineté alimentaire comme « le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole ».
Il prend ainsi ses distances avec une autre notion, celle d’autosuffisance alimentaire, qui vise une forme d’autonomie dans la production. « Pour La Via Campesina, il ne s’agit pas de mettre fin au commerce international mais de préserver sur chaque territoire un tissu rural vivant », explique Priscilla Claeys, anthropologue à l’université de Coventry (Royaume-Uni), qui a consacré sa thèse au sujet.
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