LETTRE DE MALMÖ
Quand des vignerons se retrouvent, la coutume veut qu’ils s’offrent une bouteille. Pour les Français, les Italiens ou les Allemands, rien de très compliqué : il suffit d’aller en chercher une à la cave. Viticulteur à Klagshamn, près de Malmö, dans le sud de la Suède, Murat Soufrakis, ne connaît pas ce luxe. Dès que son vin est mis en bouteille, il part à Systembolaget, la compagnie d’Etat qui détient le monopole sur la vente d’alcool dans tout le pays. Si Murat veut en offrir une, il doit l’acheter dans une des boutiques du monopole. Même chose s’il veut en boire une au dîner.
Récemment, des touristes belges et allemands l’ont contacté : ils venaient dans la région et voulaient faire une dégustation chez lui, fin juin, pour la fête de Midsommar. « J’ai dû leur expliquer que je ne pourrais pas leur vendre de vin, même une bouteille, et qu’ils ne pourraient pas non plus en acheter à Systembolaget puisque, ce week-end-là, les magasins ferment dès le jeudi soir pour ne rouvrir que le lundi. » Les touristes ont moyennement apprécié : « Beaucoup ont du mal à comprendre que ce n’est pas personnel, mais que ce sont les règles en Suède, aussi bizarres soient-elles », explique le viticulteur.
Des règles qui pourraient bientôt changer. Le 5 juin, le gouvernement de centre droit, soutenu par l’extrême droite, a annoncé qu’il voulait autoriser la vente d’alcool chez le producteur. « La Suède va devenir un peu plus comme l’Europe », s’est félicité le premier ministre conservateur, Ulf Kristersson, évoquant une « réforme très attendue en faveur de la liberté ». Mais faut-il encore que Bruxelles donne son accord, car si la Suède a été autorisée à maintenir son monopole, après son adhésion à l’Union européenne (UE) en 1994, c’est sous des conditions bien particulières.
« Systembolaget ne doit pas réserver de traitement de faveur aux alcools suédois par rapport aux produits étrangers », explique Malin Sandquist, responsable opérationnelle au sein de la compagnie publique. Le monopole n’a pas non plus pour objectif de faire des profits. « Les vendeurs sont formés pour donner des conseils, pas pour inciter à la consommation », précise Mme Sandquist. Systembolaget ne fait donc pas de publicité, ni de soldes, maintient des horaires d’ouverture stricts, ainsi qu’un contrôle minutieux de l’âge : la vente aux moins de 20 ans est interdite.
Actuellement, les Suédois peuvent acheter du vin, de la bière ou de l’aquavit dans les 450 boutiques de « Systemet », en plus des bars et des restaurants. Avec la réforme envisagée par le gouvernement, environ six cents nouveaux points de vente verront le jour. A Bruxelles, le lobby du vin a déjà fait savoir qu’il ferait tout pour s’y opposer, arguant qu’autoriser la vente privée chez les producteurs suédois tout en forçant les vignerons étrangers à passer par Systembolaget constitue une violation des règles de la concurrence et une raison suffisante d’annuler la dérogation obtenue par Stockholm en 1994.
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