LETTRE DE ROME
Au cœur d’une ville débordant de touristes, dans la foule des visiteurs qui prennent des selfies, se bousculent à l’aveugle tenant nonchalamment des cornets de glace, Jia Yiwen est un peu déçue. Voilà plusieurs jours que la trentenaire chinoise suit la trace l’influenceuse Skylar sur le réseau social Xiaohongshu (« petit livre rouge » en mandarin), une plateforme de 312 millions d’abonnés baptisée en référence à l’ouvrage de doctrine maoïste. De publication en publication, la touriste l’a vue poser au Vatican, devant le Panthéon, près du Colisée… Elle a noté les monuments pour les visiter à son tour tout en cultivant une envie particulière, celle de voir la fontaine de Trevi.
Après avoir pris un selfie avec son époux Ma Chuan Qi, 28 ans, Jia Yiwen montre son écran de téléphone : on y voit Skylar poser en robe blanche, assise sur la margelle du bassin, dos à de puissantes pierres et de l’eau claire qui semble n’exister que pour elle. « Je pensais que ce serait comme cela… », regrette la touriste, originaire de Tsingtao, dans le nord-est de la Chine. Elle ne pouvait deviner que le photographe avait laissé hors champs les attroupements fatigués de voyageurs portant un bermuda en automne, les magasins de souvenirs plus vulgaires les uns que les autres et cette boutique de bonbons démesurés dans un décor Pirates des Caraïbes.
« C’est beaucoup plus petit que ce que j’imaginais. Il y a tellement de monde… Et on ne peut même pas atteindre le bord de la fontaine pour jeter une pièce… », se désole Jia Yiwen. La pièce porte-bonheur, elle en avait entendu parler dans une chanson de Jolin Tsai, une star taïwanaise. La voyageuse l’ignore encore mais poser comme son influenceuse pour effleurer du doigt le monde imaginaire dans lequel elle brille pourrait bientôt avoir un coût. Lundi 7 octobre, le maire de Rome, Roberto Gualtieri, a annoncé que l’idée de rendre payants les abords de la fontaine de Trevi était à l’étude. Le jour même, la municipalité a lancé des travaux sur ce joyau architectural comptant parmi les pôles magnétiques les plus puissants de la Rome touristique.
Barrières de métal
Fermée par des barrières de métal, la partie basse n’est plus accessible. Bientôt, la fontaine sera occultée par des panneaux percés d’ouvertures et, le temps des travaux, une passerelle sera érigée afin de permettre aux visiteurs en nombre limité d’admirer les statues invisibles depuis la place. Cette première étape permettra de tester un dispositif visant à juguler les afflux de touristes avec des hôtesses et des stewards contrôlant l’accès au site. Si l’expérience est concluante, elle pourrait donc se traduire par la délimitation d’un espace payant dans la partie basse de la place, celle qui borde le bassin. La somme serait symbolique, de 1 à 2 euros.
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