Un chiffre publié pendant l’été par le ministère de la défense allemand a été peu commenté, alors qu’il en dit long sur l’évolution de l’Allemagne depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022. Notre voisin est devenu, en 2024, le premier fournisseur d’armement en Europe : les exportations allemandes dans ce domaine ont atteint un record historique avec 13,2 milliards d’euros. Jamais l’Allemagne n’a atteint un tel niveau dans les exportations d’armes.
Certes, 64 % de ces exportations sont à destination de l’Ukraine, mais le volume est considérable pour Berlin. Cette envolée des exportations militaires allemandes s’inscrit dans un contexte de réarmement approuvé par 75 % des Allemands. En 2025, l’Allemagne aura consacré 95 milliards d’euros à la défense, dont 24 milliards provenant du fonds spécial mis en place par le précédent gouvernement.
C’est un tournant et une rupture doctrinale. La retenue de l’Allemagne en matière militaire a souvent été critiquée. Elle était pourtant le fruit d’un compromis politique durable, ébréché une première fois en 1999 lorsque le chancelier [social-démocrate] Gerhard Schröder décida d’engager des avions allemands au Kosovo et ensuite par l’engagement en Afghanistan, en 2001. Non pas que cette attitude ait été exempte de critiques à l’intérieur du pays, formulées par des experts et des intellectuels allemands qui considéraient que leur pays devait avoir un statut militaire à la hauteur de sa puissance économique.
Ainsi, Stefan Fröhlich, spécialiste des relations internationales, envisageait-il cette stratégie comme une déficience. Dans son ouvrage Das Ende der Selbstfesselung (« la fin de l’autoenchaînement », Springer, 2019, non traduit), il jugeait que l’Allemagne « devra à l’avenir accorder une plus grande importance à la puissance militaire et à la défense ». Une vision éloignée de celle de la chancelière Angela Merkel sur un sujet qui divisait encore profondément l’opinion publique allemande.
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