En Guyane, nous vivons aujourd’hui ce que la France hexagonale vivra demain. Un basculement silencieux, brutal, que nous décrivons depuis des années, et qui se manifeste désormais au grand jour : l’eau, bien commun essentiel, devient le révélateur de nos vulnérabilités climatiques, sociales et territoriales.
Depuis plusieurs semaines, les communes qui bordent le fleuve Maroni se trouvent dans une situation inédite. La sécheresse a fait reculer le niveau du fleuve à des valeurs que même nos anciens n’avaient jamais observées. A Grand-Santi, commune enclavée de près de 9 000 habitants, l’eau du réseau n’est plus suffisante pour répondre aux besoins vitaux. Les habitants doivent se tourner vers la rivière Lawa – aujourd’hui polluée par le mercure et le cyanure des activités illégales – pour boire, cuisiner, vivre.
Je connais ces rives. J’y ai grandi politiquement, techniquement, humainement. Elles m’ont appris que la République n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle écoute ses marges, ses territoires lointains, ceux où l’Etat est à la fois nécessaire et fragile. Depuis Awala-Yalimapo, commune amérindienne qui abrite le plus grand site de ponte de tortues marines au monde, jusqu’aux villages noirs-marrons du Haut-Maroni, où les traditions africaines et amazoniennes se mêlent depuis trois siècles, des populations résilientes affrontent l’inondation, la sécheresse, la pollution, l’isolement.
J’ai dialogué avec les participants du Forum mondial de l’eau à Dakar en 2022, à l’Organisation des Nations unies à New York en 2023, plus récemment à Nice lors de la Conférence des Nations unies sur l’océan, et j’étais à Belem pour la COP30. A chaque fois, j’ai défendu cette conviction simple : l’adaptation climatique ne se décrète pas depuis les capitales, elle se construit là où les ruptures se produisent. Et aujourd’hui, la rupture est là.
Limite constitutionnelle
Dans les villages du Haut-Maroni à Taluen, en pays wayana, les écoles ferment lorsque l’eau cesse de couler. Les centres de santé comptent chaque litre. Les enseignants partent. Les pirogues, capables de transporter des camions entiers et symboles de l’inventivité des peuples du fleuve, naviguent dans des chenaux qui s’assèchent. Les opérations contre l’orpaillage illégal se multiplient, et un militaire y a perdu la vie au début du mois de novembre.
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