Roxane Chilà est enseignante chercheuse en histoire du Moyen Age à l’université Bordeaux-Montaigne, ancienne élève
de l’ENS de Lyon et agrégée d’histoire, elle a été consultante historique du studio Asobo pour le jeu A Plague Tale. Requiem. Ses recherches portent sur la Renaissance en Italie et dans la péninsule Ibérique, notamment dans les cours royales. Elle a codirigé, avec Cédric Quertier et Nicolas Pluchot, Arriver en ville. Les migrants en milieu urbain au Moyen Age (Publications de la Sorbonne, 2013).
L’entrée de migrants dans la cité fait partie de la normalité de la vie urbaine au Moyen Age (du Ve au XVe siècle). C’est aussi l’un des signes de prospérité les plus communément mis en avant dans les sources. Des habitants de l’Oisans déplorent en 1428 que leur contrée, frappée par une pénurie de blé, soit désertée : « Aucun étranger ne vient y demeurer et de jour en jour les habitants quittent la paroisse » ; « On ne trouve aucune femme, aucune jeune fille qui ne veuille se marier dans cette paroisse et venir y installer son foyer. » Cette voix du XVe siècle pose clairement la situation : les villes médiévales sont des pôles marqués par des circulations de population, à diverses échelles. On y vient et on en part, au gré des saisons, de péripéties familiales (noces, veuvages), de la conjoncture économique et des occasions à saisir, en fonction des situations sanitaire, militaire, etc.
Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : Réinventons la ville », septembre 2024, en vente dans les kiosques ou sur le site de notre boutique.
Ces circulations intéressent de longue date les historiens de la période médiévale : causes, conséquences, individus concernés, autant de questions soulevées par Claudine Billot et Arlette Higounet-Nadal en 1980 dans l’une des premières bases de données informatisées, à cartes perforées (plus de 10 000), conçue comme un « thesaurus des migrations médiévales ». En effet, la croissance des villes, après la longue période de déprise urbaine, d’abandon progressif, qui a marqué le premier Moyen Age, devient l’un des principaux phénomènes du monde occidental entre les XIe et XVe siècles. Faire l’histoire des migrations et des migrants, c’est donc travailler sur un pan essentiel de l’histoire de la ville, à l’analyse de son tissu social. Des cartes perforées des années 1980 au bel Atlas des migrations en Méditerranée. De l’Antiquité à nos jours, publié chez Actes Sud, en passant par des études locales, l’intérêt pour l’arrivée des migrants en ville irrigue la recherche historique.
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