L’industrie automobile a toujours été cyclique. Aux périodes fastes succédaient à intervalles réguliers des reculs spectaculaires des ventes et des profits, en fonction de la conjoncture ou des phases de renouvellement des modèles. La séquence que le secteur traverse aujourd’hui n’a rien à voir avec les soubresauts du passé. La crise est structurelle, et la façon dont les marques françaises vont pouvoir se sortir de l’ornière reste incertaine. Alors que Renault et Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Chrysler, Opel…) pavoisaient jusqu’à peu avec des rentabilités inédites dans le secteur, les deux constructeurs ont subi au premier trimestre de lourdes pertes semestrielles de plusieurs milliards d’euros.
Les vents contraires se multiplient. Les stocks dans les réseaux de vente s’accumulent, et doivent être écoulés avec de fortes remises, qui plombent la rentabilité. Pour Renault s’ajoute la dépréciation de sa participation dans le japonais Nissan, qui, lui aussi, traverse une passe difficile. L’industrie européenne paye également son impréparation à la transition vers l’électrique, et la montée en puissance de la concurrence chinoise. Cette douloureuse mutation est enfin aggravée par les droits de douane brandis par Donald Trump.
Alors que le spectre du déclin guette, les constructeurs cherchent désespérément à endiguer la crise, qui menace des millions d’emplois. A les écouter, celle-ci aurait pour origine principale la décision de l’Union européenne d’interdire la vente de voitures à moteur thermique à partir de 2035. Taxée de choix politique en déconnexion avec la réalité du marché, cette échéance fait l’objet d’un intense lobbying visant à repousser l’échéance. Les constructeurs ont déjà obtenu que les sanctions prévues à partir de 2025 en cas de dépassement des émissions de CO2 soient reportées à 2027. Tout le monde a compris qu’il ne s’agissait que d’une étape, dans le but de remettre en question l’ensemble du calendrier.
Privilégier le court terme en négociant un sursis constitue un mauvais calcul. Les constructeurs européens avaient quinze ans pour se préparer à la transition. C’est le temps qu’il a fallu à l’industrie chinoise pour devenir le leader mondial incontesté du véhicule électrique, et prendre une avance technologique décisive sur les Occidentaux. Ceux-ci ont préféré garder un pied dans l’ancien monde en continuant à vendre de gros SUV, dégageant de plus fortes marges, mais que la majorité de la population n’a plus les moyens de s’offrir. Les Chinois ont joué la massification, avec des modèles abordables, leur permettant d’avoir des coûts de production imbattables et une innovation d’une efficacité redoutable.
Les constructeurs européens plaident aujourd’hui que le marché européen n’est pas au rendez-vous. Pourtant, dans une dizaine de pays où a été créé un écosystème favorable, avec une fiscalité adaptée, des infrastructures disponibles et un coût recharge abordable, la part des véhicules électriques dans les ventes globales est en avance sur le calendrier. Plutôt que de faire de la transition le bouc émissaire des problèmes du secteur, les constructeurs devraient orienter leur lobbying afin de réclamer des politiques d’accompagnement pour la favoriser.
Retarder les échéances contribuerait à creuser l’écart avec une concurrence chinoise qui ne va pas s’arrêter d’innover au prétexte que les Européens décideraient de prolonger coûte que coûte une technologie thermique en fin de vie. Ce discours d’arrière-garde ne fait qu’aggraver l’impasse dans laquelle le secteur se trouve.