Après l’annonce américaine, samedi 1ᵉʳ février, de la mise en place de 25 % de droits de douane sur les produits en provenance du Canada et du Mexique – à l’exception des hydrocarbures canadiens taxés à 10 % – et d’une hausse de 10 % sur les biens venant de Chine, les pays visés n’ont pas tardé à répondre. A eux trois, ils représentent au total plus de 40 % des importations américaines.
Au Canada, 25 % de droits de douane sur des produits américains
Dans un discours au ton grave, samedi soir, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a annoncé que le Canada allait, en retour, « imposer des droits de douane de 25 % sur des produits américains pour un total de 155 milliards de dollars canadiens [102 milliards d’euros] ». Dès mardi 4 février, ces droits seront appliqués sur 30 milliards de dollars (28,9 milliards d’euros) de marchandises. La nouvelle taxation américaine doit également entrer en vigueur, mardi, pour les produits canadiens, selon un premier décret présidentiel que l’Agence France-Presse (AFP) a pu consulter.
Les droits de douane imposés par le Canada vont concerner « des produits de consommation courante tels que la bière, le vin et le bourbon américain, les fruits et les jus de fruits », a précisé le premier ministre. Mais aussi « les légumes, les parfums, les vêtements et les chaussures, les produits de consommation courante tels que les appareils ménagers, les meubles et les équipements sportifs, les matériaux tels que le bois de construction et les plastiques… »
« Si le président Trump veut inaugurer un nouvel âge d’or pour les Etats-Unis, la meilleure voie est de s’associer avec le Canada, et non de nous punir », a déclaré le chef du gouvernement canadien, samedi, lors d’une conférence de presse. Il a rappelé que le Canada a toujours été aux côtés des Etats-Unis dans les « heures les plus sombres » – de la crise des otages en Iran à la guerre en Afghanistan ou lors des catastrophes naturelles meurtrières telles que l’ouragan Katrina en Louisiane et les récents incendies en Californie.
Il a prévenu que les semaines à venir seraient difficiles pour les Canadiens et que les tarifs douaniers décidés par Donald Trump nuiraient également aux Américains. S’adressant à ces derniers, il a déclaré : « Cela va augmenter les coûts pour vous, y compris ceux de la nourriture, de l’essence à la pompe… »
Plus tôt, Doug Ford, le premier ministre de l’Ontario, la plus riche province canadienne, avait appelé à « répondre, et répondre fort », en menaçant de limiter les exportations de métaux rares, d’énergie ou d’uranium. Celui de la Colombie-Britannique, David Eby, est allé plus loin en qualifiant l’annonce américaine de « trahison totale du lien historique entre les deux pays ». « Il s’agit d’une déclaration de guerre économique à l’encontre d’un allié et d’un ami de confiance », a-t-il ajouté, parlant d’un « caprice d’une seule personne à la Maison Blanche ».
Les menaces de guerre économique avec les Etats-Unis ont aggravé la crise politique au Canada. Justin Trudeau a annoncé sa démission début janvier après près de dix ans au pouvoir. Il reste aux manettes le temps que son parti libéral trouve un remplaçant.
Plainte de la Chine à l’OMC
De son côté, la Chine s’est dite dimanche « vivement mécontente » de la hausse des taxes et a déclaré s’y « opposer fermement ». Le ministère du commerce a ainsi annoncé, dans un communiqué, des mesures « correspondantes pour résolument protéger » les « droits et intérêts » chinois. Ces taxes ne sont « pas seulement inutiles à la résolution des problèmes des Etats-Unis, elles sapent aussi une coopération économique et commerciale normale », a dénoncé le ministère du commerce. Pékin va, par ailleurs, déposer plainte contre Washington auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), selon le ministère, pour ce qu’il a qualifié d’« imposition unilatérale de droits de douane en violation sérieuse des règles de l’OMC ».
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« La Chine espère que les Etats-Unis vont objectivement et rationnellement regarder et s’occuper de leurs problèmes tels que le fentanyl, plutôt que de menacer à tout bout de champ d’autres pays avec des droits de douane », a-t-il poursuivi. Pékin « exhorte les Etats-Unis à corriger leurs pratiques erronées, (…) à faire face à leurs problèmes, à avoir des discussions franches, à renforcer la coopération et à gérer les différences sur la base de l’égalité, du bénéfice et du respect mutuels », toujours selon le communiqué du ministère du commerce.
Le ministère des affaires étrangères chinois a, lui, déclaré que les guerres commerciales ne faisaient « pas de vainqueurs ». Dans un communiqué, il a estimé que les nouvelles taxes allaient « inévitablement affecter et nuire à la future coopération en matière de contrôle des drogues », alors que les Etats-Unis cherchent à endiguer le trafic de fentanyl sur son sol.
Le commerce sino-américain a représenté environ 500 milliards d’euros sur les onze premiers mois de 2024 mais la balance est grandement en défaveur des Etats-Unis, avec un déficit de quelque 260 milliards d’euros sur la période, selon les chiffres de Washington.
La présidente mexicaine tente de rassurer
La déclaration américaine est tombée alors que la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, s’exprimait lors d’un événement public. Sans y faire directement référence, elle a d’abord assuré « garder la tête froide car l’économie du Mexique est très puissante. Je ne me sens pas seule ». Puis, sur X, elle a fustigé comme une « calomnie » l’accusation de Donald Trump selon laquelle son gouvernement aurait des liens avec le narcotrafic. Elle aussi a annoncé « des mesures tarifaires et non tarifaires en défense des intérêts du Mexique », dont 83 % des exportations partent chez le voisin américain (automobiles, ordinateur, produits agricoles). La présidente de gauche nationaliste n’a cependant pas détaillé ces « mesures tarifaires » ni donné de calendrier. Mme Sheinbaum a aussi proposé à son homologue américain « un groupe de travail avec nos meilleures équipes de sécurité et de santé publique » sur les questions de trafic de drogue et des migrations.
Elle avait rencontré dans la journée des chefs d’entreprise, son ministre de l’économie, Marcelo Ebrard, y voyant le signe que « le secteur privé serre les rangs autour de la présidente et de sa défense de l’intérêt national face à l’arbitraire commercial que nous devrons affronter dans quelques heures ». La décision de Donald Trump est « une flagrante violation de l’ACEUM [l’Accord Canada-Etats-Unis-Mexique, traité de libre-échange en vigueur depuis 2020], que nous avons négocié avec le président Trump lui-même », a-t-il ajouté, se déclarant « fier du sang-froid et de la fermeté » de Mme Sheinbaum. Samedi soir, plusieurs ministres ont rejoint la présidente au Palais national pour une réunion d’urgence, selon les médias locaux.
Le Mexique enregistre de forts excédents dans son commerce avec les Etats-Unis, ce qui a conduit M. Trump à affirmer que son pays « subventionne le Mexique ». La taxation à 25 % des importations par les Etats-Unis « représente une menace directe pour la compétitivité de l’Amérique du Nord et la stabilité économique de notre pays », s’est inquiété le syndicat patronal Coparmex. « Les exportations d’automobiles, de pièces détachées, d’ordinateurs, de produits électro-ménagers et de produits agricoles seront sérieusement affectées, ce qui pourrait se traduire par un sévère ralentissement économique », alors que l’économie mexicaine montrait déjà « des signes importants de faiblesse », ajoute la Coparmex.
Washington justifie sa décision par la volonté de forcer les trois pays à agir pour diminuer le trafic de fentanyl, un puissant opioïde, à destination des Etats-Unis. Selon Donald Trump, la Chine exporte vers le Mexique des principes actifs permettant sa fabrication par les cartels mexicains, ensuite vendu de l’autre côté de la frontière. Il reproche également au Mexique et au Canada de ne pas suffisamment contrôler les flux migratoires vers les Etats-Unis.