Le livre. Aborder la vieillesse par le corps peut sembler relever de la gageure éditoriale. Souvent absent de l’espace public, le corps âgé dérange, et c’est bien la raison pour laquelle les membres de La Vie vieille assument avec aplomb de l’aborder de front.
Cette association, créée en 2021 dans la foulée de la pandémie de Covid-19, entend « peser sur les politiques publiques » liées au vieillissement. Sous la plume alerte de Catherine Vincent, ancienne journaliste au Monde et membre de La Vie vieille, Le Corps vieux (Michalon, 192 pages, 18 euros) restitue les travaux d’un de ses séminaires en une dizaine d’entrées qui sont autant d’étapes d’une exploration au carrefour de l’intime et du politique.
Le déni d’abord. Les vieux sont souvent les autres. La faute au biais cognitif joliment appelé « d’optimisme », qui nous fait ignorer l’âge de nos artères pour mieux conjurer l’angoisse de leur déclin. D’autant que le temps de la vieillesse s’est considérablement allongé pour qui connaît la chance d’être épargné par la maladie. L’ouvrage distingue ainsi les « jeunes vieux », à la retraite souvent active, des « très vieux » confrontés plus fréquemment à l’épreuve de la maladie.
Corps sexué et tabous
En mêlant paroles d’experts et témoignages, histoire philosophique et réflexion éthique, l’essai tente de cerner cette expérience individuelle et collective, vécue par chacun dans sa chair tout autant que dans le regard des autres. Face à « la déglingue, qu’elle soit physique, sensorielle, cognitive, psychique, ou existentielle », il s’agit de « chercher ailleurs comment continuer d’être au monde », observe Véronique Fournier, médecin et fondatrice du Centre d’éthique clinique, à Paris ; trouver les ressources pour « déplacer, autant que possible (son) narcissisme », sans « devenir trop étranger » à soi-même, ajoute l’écrivaine Noëlle Châtelet.
Du corps sexué et des tabous qui l’entourent (la première enquête sur la sexualité incluant des personnes de 70 à 75 ans date en France seulement de 2016) au corps souffrant dont la douleur reste trop peu étudiée, de la dépendance pour les gestes les plus intimes, aux choix ultimes de la fin de vie, l’ouvrage documenté aborde avec délicatesse les différents effets du grand âge. Et rappelle que le déni n’incite pas la société à « changer le regard » qu’elle porte sur ses vieux, « et plus encore sur ses très vieux qu’elle traite fort mal ».
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