C’est un modeste rapport, un simple bilan d’étape. Dix-huit pages rédigées par cinq écologues au titre sobre : « Distribution, écologie et conservation du trigonocéphale en Martinique ». Douze ans après une première étude, la préfecture de l’île entendait voir si les mesures de « protection intégrale » de ce serpent endémique, mises en place en 2019, avaient commencé à porter leurs fruits. L’enquête devrait se poursuivre l’an prochain, mais à mi-parcours, Nicolas Vidal, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, ne cache pas sa satisfaction : « Les bonnes nouvelles sont suffisamment rares pour qu’on les salue, la situation semble stabilisée et l’on va pouvoir enfin mieux étudier cet animal. »
Etonnante bête, aussi emblématique que méconnue. Sur l’île, tout le monde connaît le crotale fer-de-lance, alias trigonocéphale (tête triangulaire), que les scientifiques nomment Bothrops lanceolatus depuis 1790. Ailleurs, personne ou presque n’en a entendu parler. Et pourtant, c’est lui qui, en 1502, a conduit Christophe Colomb à quitter l’île, sitôt après y avoir posé le pied. Lui que l’on trouve, en quatre exemplaires, sur le drapeau historique bleu et blanc de la Martinique. Les études génétiques ont permis de dresser son histoire : il y a environ 6 millions d’années, ses ancêtres ont quitté l’Amérique du Sud – où vit l’essentiel de la famille Bothrops – et gagné deux îles des Caraïbes, Sainte-Lucie et la Martinique, pour former deux nouvelles espèces. Hormis les chauves-souris, aucun mammifère n’y résidait. Pas de prédateurs, des proies disponibles (amphibiens, oiseaux…) : la population s’est multipliée.
Après Colomb, il faudra attendre cent trente-trois ans avant que l’île ne connaisse une véritable implantation humaine. Combattre le fer-de-lance et son venin mortel devient une activité constante en Martinique. Au XIXe siècle, la mangouste est introduite. Sans résultat, si ce n’est le ravage d’autres populations animales. En revanche, la prime offerte à la remise de trigonocéphales morts rencontre un franc succès. Le pic est atteint en 1971 avec plus de 12 000 individus éliminés. Les chiffres s’effondrent ensuite, malgré le passage de 5 francs à 10 francs, puis 100 francs en guise de récompense.
En 2019, virage à 180 degrés. Une étude réalisée par Maël Dewynder en 2012 a tiré le signal d’alarme. Les morsures sont, en outre, devenues rarissimes et un sérum très efficace a été développé. Le trigonocéphale bénéficie d’une protection totale : fini les primes, interdiction de toucher à l’animal et à son habitat, proscrits les « pitts », ces arènes où s’affrontaient serpents et mangoustes.
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