En politique internationale comme sur les sujets de société, la rhétorique du « deux poids, deux mesures » est trop puissante pour être employée à la légère. Il est pourtant difficile de ne pas s’y référer à propos de la façon dont les dirigeants politiques français, et singulièrement le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, ont réagi après le meurtre à coups de couteau, vendredi 25 avril, d’Aboubakar Cissé, un Malien de 22 ans, dans la mosquée Khadidja de La Grand-Combe (Gard).
Dans la vidéo qu’il a lui-même captée avec son téléphone et où l’on voit sa victime agoniser, le meurtrier présumé, Olivier H., un Français d’origine bosnienne de 20 ans, répète : « Ton Allah de merde, ton Allah de merde. » Son mobile précis reste à établir. Mais, trois jours plus tard, une information judiciaire a été ouverte pour « meurtre avec préméditation et à raison de la race ou de la religion ».
Pour les médias comme pour les responsables politiques, la prudence s’impose dans les commentaires immédiats après un tel crime, car ses circonstances et sa motivation peuvent mettre du temps à être éclaircies. Mais, depuis des années, les responsables de l’exécutif ont à cœur de se rendre très vite sur les lieux de drames choquants. Ainsi, François Hollande et son ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’étaient rendus immédiatement à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) le 26 juillet 2016 après le meurtre du père Jacques Hamel par deux jeunes islamistes.
L’actuel locataire de la Place Beauvau, Bruno Retailleau, en compétition avec Laurent Wauquiez pour la présidence du parti Les Républicains, est apparu à Nantes, le 24 avril, quelques heures après le meurtre au couteau d’une lycéenne. Il a alors – imprudemment – mis en cause « l’ensauvagement » et « une société qui (…) a voulu déconstruire l’autorité », avant que l’auteur des faits soit hospitalisé en psychiatrie. Pareille prétention à expliquer avant la moindre enquête, pareille précipitation à exploiter politiquement un drame, n’est pas digne d’un ministre de la République, qui plus est responsable de l’ordre public.
C’est peu de dire que l’empressement de M. Retailleau à paraître à Nantes contraste avec son absence, lui qui est chargé des cultes, de la mosquée de La Grand-Combe, théâtre d’un meurtre avec un élément antimusulman avéré. Alors que le président de la République a très vite dénoncé « le racisme et la haine en raison de la religion » et que le premier ministre a fustigé « l’ignominie islamophobe », le ministre de l’intérieur s’est contenté, sur le moment, de qualifier le meurtre d’« épouvantable » et ne s’est déplacé, trois jours plus tard, qu’à la préfecture du Gard. Vendredi 2 mai, il a annoncé qu’il recevrait, lundi, la famille d’Aboubakar Cissé.
Alors que les services de la Place Beauvau constatent eux-mêmes une recrudescence des actes antimusulmans depuis quelques mois, l’inquiétude de ces derniers est manifeste. Comme tous les habitants de ce pays, ils ont droit à la protection, à l’écoute et, le cas échéant, à la compassion des autorités. Il est dramatique que les millions de Français d’origine ou de confession musulmane soient pris en otage et utilisés dans des joutes politiciennes, que celles-ci tendent à confondre islam et islamisme, ou à nier les périls liés à ce dernier.
Le sens profond de la laïcité est de concilier vie en commun et liberté religieuse. Elle ne saurait tolérer ni la haine contre les croyants d’une religion, ni la moindre attitude tendant à alimenter un poison terrible : la concurrence entre victimes.