La Russie de Vladimir Poutine a inventé un nouveau mot : la « déréhabilitation ». La fermeture du Musée de l’histoire du goulag à Moscou, le 14 novembre, et le déplacement, annoncé le 3 décembre, de la pierre « en mémoire des millions de victimes du régime totalitaire » soviétique loin de la place Loubianka, siège historique du KGB au cœur de la capitale, sont venus confirmer ce que le bureau des procureurs russes a lentement accompli en deux ans : depuis le second semestre 2022, il s’est penché sur quelque 14 000 cas de réhabilitation de victimes de la répression soviétique et en a annulé plus de 4 000.
L’objectif déclaré est de « déréhabiliter » des personnes coupables de crimes graves. Officiellement, il s’agit de Russes soupçonnés d’avoir collaboré avec le régime d’Hitler pendant la seconde guerre mondiale. Des « nazis et traîtres à la patrie » – les mêmes termes utilisés par le Kremlin en près de trois ans d’« opération militaire spéciale » pour qualifier les Ukrainiens et, en Russie, les opposants.
Adoptée à la chute de l’URSS, la loi de 1991 sur la réhabilitation des victimes de la répression soviétique excluait pourtant déjà les coupables de crimes de collaboration avec le régime nazi. Sélectives, les annulations de ces deux dernières années n’étaient donc pas nécessaires a priori. Mais elles s’inscrivent dans le discours du Kremlin pour réécrire l’histoire et justifier, en Ukraine, son « opération militaire spéciale » contre les « nazis de Kiev » et, en Russie, la répression contre une prétendue cinquième colonne jugée libérale et révisionniste. Sur les écrans de télévision et sous les préaux des écoles, le message orchestré par la propagande est clair : comme Joseph Staline, Vladimir Poutine combat le nazisme et ceux qui s’opposent sont des « fascistes ».
« C’est un processus d’oubli et de déformation pour refouler la mémoire des répressions. L’attaque contre la loi sur la réhabilitation, seul texte juridique dans lequel l’Etat reconnaissait sa responsabilité dans la terreur politique, s’inscrit dans l’idéologie poutinienne qui tente de minimiser cette responsabilité. Elle repose sur un retour à un passé mythifié, prétendument glorieux, qui n’a en fait jamais existé », s’inquiète Irina Scherbakova, historienne de l’ONG russe Memorial, aujourd’hui en exil.
Fondé par d’anciens dissidents, Memorial russe était l’une des rares organisations à mener un travail de mémoire sur le passé soviétique. Dissoute par la Cour suprême de Russie le 28 décembre 2021, couronnée par le Prix Nobel de la paix en 2022, elle a été bannie du pays et une grande partie de son travail est désormais défait par ces annulations de réhabilitation. Memorial a demandé la liste des 4 000 « déréhabilités ». « Ce seront sans doute ceux qui ont participé à la résistance contre le pouvoir soviétique, y compris les membres de la résistance armée en Lituanie et en Ukraine occidentale », redoute Irina Scherbakova. L’actuelle politique du Kremlin suscite une autre crainte : « Nous perdons l’accès aux archives. » En cas d’annulation d’une réhabilitation, les dossiers d’enquête deviennent automatiquement inaccessibles.
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