Comme Janus bifrons, Mahi Binebine est l’homme aux deux visages. Côté face, il est aujourd’hui l’un des plus grands peintres et sculpteurs marocains, un artiste dont on peut trouver des toiles – très matiérisées, avec d’étonnants mélanges de cendre, de cire d’abeille et de pigments dont lui seul a le secret – dans des lieux prestigieux tels que le Musée Guggenheim, à New York. Côté pile, il est un écrivain à la verve folle, un conteur-né, irrésistible. Pour reprendre le titre d’un de ses romans, paru aux Editions de l’Aube, en 2006, on pourrait dire que le « griot de Marrakech », c’est lui. Auteur de treize romans, la plupart d’inspiration autobiographique, Mahi Binebine s’est distingué avec Cannibales, Pollens, Terre d’ombre brûlée (L’Aube, 1999 ; Fayard, 2001 et 2003) et plus encore avec Les Etoiles de Sidi Moumen (Flammarion, 2009), Prix du roman arabe, porté à l’écran par Nabil Ayouch, sous le titre Les Chevaux de Dieu (2012). Grâce à l’argent de ce best-seller – dont l’intrigue est située dans le plus grand bidonville de la banlieue de Casablanca, Sidi Moumen étant le nom du lieu qui a vu naître les auteurs des attentats de 2003 à Casablanca –, Mahi Binebine a par ailleurs cocréé, en 2004, un centre culturel destiné aux jeunes défavorisés (il en existe huit de ce type désormais au Maroc). La parution de son nouveau roman, La nuit nous emportera, est l’occasion d’évoquer quelques-uns des thèmes qui irriguent sa création.
Mamaya
Qui est Mamaya ? Dans La nuit nous emportera, le narrateur la décrit ainsi : « Une géante doublée d’une tigresse », un « amas de chair blanche, tiède, moelleuse, où venaient s’évanouir mes peurs d’enfant ». Mamaya, c’est le refuge, la protection, le courage, l’intransigeance, la rectitude, la sévérité inflexible et la tendre douceur mêlées. En un mot, Mamaya, c’est la Mère. Majuscule et magistrale. A la fois pilier, boussole et figure nourricière pour les sept enfants qu’elle élève seule, ce personnage est omniprésent dans l’œuvre de Binebine. « J’ai grandi au milieu de femmes fortes », explique ce dernier au « Monde des livres », en faisant allusion à sa mère et à sa grand-mère surnommée « Maman-du-Bled », une sacrée personnalitéqui, dans ses romans, ne baisse jamais les bras, elle non plus. « J’avais 3 ans quand mon père a abandonné la famille et 11 lorsque mon frère aîné, Aziz [il s’appelle Abel dans La nuit nous emportera], a été envoyé au bagne. Sans hommes, Mamaya a façonné notre fratrie, elle l’a soudée. Elle nous disait toujours : “Vous n’êtes pas idiots, vous avez de quoi manger, vous vous devez d’être les meilleurs.” Alors nous tentions d’être premiers partout. Même Aziz a fait la meilleure prison de la planète [le bagne de Tazmamart] ! »
Il vous reste 72.2% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.