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FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST
Il y a des épisodes de l’émission « Toute une vie » particulièrement réussis. Cela tient d’abord, évidemment, à une mise en ondes maîtrisée – ici, et à la fois joyeuse et élégante –, à une belle utilisation des archives – largement issues de l’émission « Radioscopie », de Jacques Chancel, en 1980 – et à des entretiens parfaitement menés. Un contrat rempli par Amaury Ballet, qui a imaginé l’émission, et François Teste, qui l’a réalisée. Cela tient sans doute aussi à la personnalité même et au talent du sujet : le dessinateur Reiser (1941-1983), qui aimait à dire : « Je dessine le pire parce que j’aime le beau. »
Auteur d’une biographie parue chez Grasset en 1995, Jean-Marc Parisis évoque celui qui, né en 1941 dans une Lorraine annexée par l’Allemagne et mort en novembre 1983, devint cet artiste génial dont les dessins demeurent un remède à la mélancolie. Michèle Reiser, qui fut sa deuxième épouse, se souvient : « Il était beau comme un dieu, un visage d’ange, des yeux bleus. Il était lumineux. C’était un homme merveilleux », ajoute celle qui tient à rappeler la grande douceur et l’élégance morale de son mari.
Celui qui fut abandonné par son géniteur – épisode qu’il a évoqué dans son allégorique dessin Le Pont des enfants perdus – trouvera en Choron et en Cavanna des pères accueillants d’abord à Hara-Kiri puis à Charlie Hebdo. Admirative, l’illustratrice Marie Morelle parle de cette façon de dessiner qui constitue l’une des singularités de Reiser : « Un trait jeté qui est très expressif, qui naît d’une énergie donnée par la main ou le poignet et va à l’essentiel. Plus c’est épuré et plus c’est dur à faire, et Reiser va à l’essentiel. »
Un « anarchisme généreux »
Un auteur fondateur pour le dessinateur Joann Sfar – qui lui doit d’avoir acheté ses premières aquarelles : « Reiser est un portraitiste de notre pays. Il dessine la violence, la crasse, la bêtise. Il était en avance sur tout le monde, sur le féminisme, sur l’écologie. Et il me fait marrer comme Coluche. »
Et Jean-Marc Parisis de rappeler que les deux hommes, Reiser et Coluche, s’entendaient très bien, partageant, outre une jeunesse difficile, un « esprit acéré » et un « anarchisme généreux » : « Reiser était du côté des humbles, des humiliés, de la veuve et de l’orphelin, mais n’a pas défilé en 1968. Il détestait les syndicats, il détestait les effets de groupe. En politique, il s’engageait personnellement, mais jamais dans les appareils. »
La voix de Jean-Marc Parisis s’efface alors un peu, se faisant plus lointaine, plus triste. Il ajoutera seulement, et au présent de l’indicatif : « C’est un type formidable, un homme qui nous manque. Je rêve, j’imagine, ce qu’il pourrait dessiner aujourd’hui sur la saloperie de l’époque, ce serait intéressant. » Inquiet, tendance réaliste, Joann Sfar déclare : « Je pense qu’on peut tout faire aujourd’hui, la seule question, c’est de survivre à son dessin. » Alors que, pour finir, Renaud entonne la chanson Mon bistrot préféré dans laquelle il convoque Reiser, faisant écho à la tendresse, à la poésie et à la justesse du bonhomme, vient soudain l’envie de replonger dans ses albums.
Reiser (1941-1983) : « Je dessine le pire parce que j’aime le beau », documentaire audio d’Amaury Ballet, réalisé par François Teste (Fr., 2024, 58 min). Dans le cadre de la collection « Toute une vie ». Disponible à la demande sur France Culture et sur toutes les plates-formes d’écoute habituelles.