L’histoire ne manque pas de communiqués de victoire prématurés lorsqu’il s’agit du Moyen-Orient. Ce rappel s’impose au lendemain du « spectaculaire succès militaire » revendiqué par Donald Trump, quelques instants après les bombardements par les Etats-Unis des trois principaux sites nucléaires iraniens, dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juin. Dix jours plus tôt, le président des Etats-Unis prônait pourtant la diplomatie pour parvenir à l’arrêt de ce programme nucléaire, inacceptable et dangereux, lancé depuis des décennies par le régime au pouvoir à Téhéran.
Cette volte-face s’explique par une inversion inattendue du rapport de force entre les Etats-Unis et son allié israélien. Placé devant le fait accompli par le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui a fait le choix de la guerre contre l’Iran le 13 juin, Donald Trump s’est résigné à le suivre, en mettant à son service la puissance de feu de Washington, notamment les bombes anti-bunker dont il a le monopole. La situation est sans précédent. Le Moyen-Orient se retrouve à cet instant sous l’emprise d’un duopole israélo-américain qui repose en fait sur l’hégémonie militaire de l’Etat hébreu.
La brutalité de ce revirement interroge, autant que son efficacité sur le long terme. Donald Trump a lancé un avertissement à Téhéran : « Il y aura soit la paix, soit une tragédie pour l’Iran bien plus grande que celle dont nous avons été témoins au cours des huit derniers jours. » Alors que ce régime, qui survit par la répression de son peuple, est affaibli comme jamais et très isolé, même s’il conserve des capacités de nuisances réelles, le président des Etats-Unis voulait le mettre en garde contre des représailles visant les nombreux intérêts américains dans la région. Elles entraîneraient cette dernière dans une spirale dévastatrice. Mais il ne s’agit pas de la seule réponse dont dispose Téhéran.
« Reddition sans conditions »
Comme Donald Trump en a convenu lui-même, les bombardements américains ne sont pas de nature à mettre définitivement un terme aux ambitions nucléaires iraniennes, même si elles sont vraisemblablement très dégradées. Pour parvenir à un arrêt total et durable de ce programme, le président américain vient de se priver d’un outil, la diplomatie, qui avait fait la preuve de son efficacité avec l’accord international obtenu en 2015.
Qui peut croire aujourd’hui le régime iranien disposé à s’engager dans des tractations avec les Etats-Unis ? Ces derniers ont déjà renié leur parole en 2018, à l’initiative de Donald Trump, à propos du traité conclu trois ans plus tôt. Et ils assuraient ces derniers jours vouloir négocier tout en donnant le feu vert à une campagne israélienne de frappes et d’assassinats de hauts responsables du régime.
Que ferait Washington si Téhéran décidait de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire dont il est membre, à la différence d’Israël, puissance nucléaire non officielle, privant l’Agence internationale de l’énergie atomique d’un accès à l’Iran toujours arraché de haute lutte, mais indispensable ? Bombarder encore plus ? Provoquer la chute d’un régime, assurément et justement honni, en dépit des risques d’implosion d’un pays tout entier hélas vérifiés par le passé dans de nombreux pays de la région ?
Quelques jours plus tôt, dans un message publié sur son réseau social, le président des Etats-Unis avait donné sa définition de la paix : « la reddition sans conditions ». Apothéose de la loi de la jungle et de la primauté de la force pure en lieu et place d’un droit international considéré désormais comme un vestige du passé, les bombardements américains sur les sites nucléaires iraniens obscurcissent l’horizon au lieu de l’éclairer.