Six longues boîtes grises, munies de poignées blanc crème, ont été alignées sur les tables recouvertes d’un drap noir. En tout point semblables à des cercueils, les coffrets sont de carton, et les liens de coton. Dans la salle des familles du Musée de l’homme, mardi 17 septembre au matin, le silence règne autour des restes ainsi exposés de Pékapé, Couani, Emo-Marita, Mibipi, Makéré et Miacapo. Ces Amérindiens Kalina, enlevés en Guyane au début de l’année 1892 pour être exhibés à Paris, dans les zoos humains du Jardin d’acclimatation, y sont morts de froid avant d’avoir vu le printemps. Depuis, ils n’étaient plus qu’objets, dans le secret des collections publiques inaliénables. Ce matin, les voilà revenus parmi les vivants, pour la première fois. Et l’on va prier pour l’apaisement de leurs âmes.
Venue de Guyane et du Suriname pour la rencontre, une délégation de leurs descendants est arrivée dans le vent d’automne, au Trocadéro. Elle entourait un chaman et quatre chefs coutumiers des villages de Terre-Rouge, Yanou Bellevue, Ayawande (Guyane) et Galibi (Suriname). Tous ont revêtu l’a’angsa, le châle multicolore des grandes cérémonies, dont ils ont couvert aussi les épaules d’Aurélie Clemente-Ruiz, la directrice du musée.
« C’est une journée historique. Un moment spirituel. Depuis cent trente-deux ans, nos anciens n’ont pas entendu la langue kalina. Nous sommes heureux d’être avec eux », commence, larmes aux yeux, Corinne Toka Devilliers. Celle-ci a donné le nom de sa grand-mère, Moliko, à l’association fondée en 2021, Moliko Alet + Po, pour le retour des corps au pays. « Nous sommes venus avec nos forces parler avec nos ancêtres. Il est temps pour eux de revenir chez eux », ajoute d’emblée Cécile Kouyouri, la toute première femme cheffe coutumière kalina désignée en Guyane, en 1997.
« On ne peut plus éviter cette histoire »
Quand délégation et invités, guidés par le chaman Reinier Aliamale, s’assoient face aux six boîtes spécialement conçues, pour le début de la cérémonie proprement dite, l’émotion s’accroît. Main dans la main, les Kalina se serrent. Des danses, des chants, aident au recueillement, autour du cachiri, la boisson traditionnelle à base de manioc. Les paroles convoquent, aussi, les horreurs de la colonisation. « On ne peut plus éviter cette histoire. Les preuves sont là », intervient Corinne Toka Devilliers, après avoir posé quelques portraits d’archives sur les coffrets. « C’est ainsi qu’on les voit : deux femmes dont une avec son fœtus, quatre hommes. Le gouvernement ne peut plus les garder dans ces boîtes grises. »
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