Est-il possible d’analyser la société à l’aune des échanges marchands et de la poursuite des intérêts particuliers des individus, et, dans le même temps, de se soucier de l’intérêt général ? Cela peut sembler paradoxal, mais nombreux sont les économistes qui en sont convaincus.
C’était déjà le cas de Léon Walras (1834-1910), père de la théorie de l’équilibre général, qui formalise l’ensemble des échanges d’une économie de marché. Il avait fait acte de candidature, en 1905, au prix Nobel de la paix, finalement attribué cette année-là à l’autrice autrichienne Bertha von Suttner (1843-1914). Walras sera candidat encore au moins deux fois au Nobel de la paix, jusqu’au soir de sa vie. Jean-Pierre Potier (« Le socialisme de Léon Walras », L’Economie politique n° 51, 2011) a ainsi retrouvé, dans les archives de l’économiste, une esquisse de discours qu’il aurait prononcé en cas d’obtention du prix et dans lequel il déclare : « J’ai exposé le système qui prépare et assure la paix : justice sociale, rachat des terres, libre-échange. Quant à celui qui mène à la guerre, c’est notre système actuel. » Depuis, la Banque de Suède a créé un prix Nobel d’économie, ce qui a peut-être désengorgé celui de la paix à défaut d’amoindrir les ambitions de la science économique.
Dans l’excellent Economie du bien commun (PUF, 2016), Jean Tirole, Prix Nobel d’économie 2014, explique que « l’économie a pour objet de rendre le monde meilleur ». Selon lui, l’économie « ne doit pas se substituer à la société en définissant le bien commun », mais elle permet de réfléchir aux institutions et instruments publics et privés qui permettent de l’atteindre. Pourtant, mis à part quelques évidences – la paix est préférable à la guerre, l’abondance est préférable à la pauvreté, etc. –, il n’est pas simple de définir des finalités normatives telles que le bien commun ou l’intérêt général. Et le moins que l’on puisse dire, surtout après la séquence politique des derniers mois, c’est que le processus démocratique en France n’est pas non plus capable de produire des consensus en la matière.
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