Si les décisions prises par Donald Trump depuis son accession à la présidence des Etats-Unis créent à ce stade beaucoup d’incertitudes, il en est une qui a déjà des effets concrets, avec des conséquences qui s’annoncent dramatiques. La suppression de la majeure partie des programmes de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) déstabilise dangereusement l’aide humanitaire, et les organisations non gouvernementales qui en ont la charge.
Le sommet international sur la malnutrition, organisé à Paris jeudi 27 et vendredi 28 mars, a été l’occasion de donner un premier éclairage sur la catastrophe en cours. Alors que des milliers de programmes sont à l’arrêt, l’Unicef chiffre à au moins 14 millions le nombre d’enfants victimes de malnutrition qui pourraient être privés de l’aide dont ils ont besoin en 2025. La revue Nature estime, dans une évaluation publiée mercredi 26 mars, que la disparition de certains financements risque de provoquer la mort de 163 000 personnes par an.
Mêmes conséquences dévastatrices pour l’aide aux populations déplacées. L’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés se retrouvent en grande partie paralysés, alors que la situation au Soudan, en Ukraine, en République démocratique du Congo ou au Bangladesh exige des réponses urgentes.
Sous prétexte d’arrêter de dilapider l’argent du contribuable américain et de réduire le gigantesque déficit public des Etats-Unis, l’administration Trump s’est attaquée à l’un des maillons essentiels de l’aide internationale. Les 42 milliards de dollars (38,5 milliards d’euros) nécessaires pour financer les programmes de l’Usaid ne pèsent pourtant que 0,6 % du budget américain. Une goutte d’eau sur le plan comptable, mais qui est existentielle pour soigner, nourrir, protéger, éduquer des millions d’êtres humains.
Agenda idéologique
Le tri drastique, et sans évaluation sérieuse au préalable, effectué au sein de l’Usaid vise à ne retenir que les projets susceptibles de rendre « l’Amérique plus sûre, plus forte et plus prospère », selon les mots de Marco Rubio, le secrétaire d’Etat américain. Derrière le prétexte de l’« America first » se cache un agenda idéologique et démagogique, dont les principales victimes sont les populations les plus vulnérables de la planète.
Dans un élan utilitariste et cynique, l’idée consiste à rationaliser la dépense publique sous l’impulsion de l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, propulsé responsable de l’« efficacité gouvernementale ». Cette décision est à la fois indécente et à courte vue. La logique de l’aide internationale ne se résume pas à la générosité. Elle permet de limiter la déstabilisation de pays entiers touchés par la misère, la faim, la guerre et les déplacements de populations.
Il est paradoxal pour l’administration Trump de vouloir lutter contre l’immigration clandestine, tout en prenant des décisions qui ne font qu’accélérer le phénomène. Par ailleurs, ne pas endiguer la maladie localement, c’est prendre le risque de pandémies globales, qui n’épargneront pas les Etats-Unis.
Il faut maintenant tirer les leçons d’un système d’aide au développement qui a été trop dépendant des Etats-Unis. Il est urgent de diversifier les modes de financement. En attendant, la brutalité du retrait américain aura de lourdes conséquences sur l’image et l’influence du pays à travers le monde. La Chine se fera un plaisir de se substituer à un soft power américain déclinant, mais selon sa propre grille de lecture du monde et ses propres intérêts. Les Etats-Unis font un mauvais calcul, dont une grande partie de l’humanité va payer le prix.