« Le Sport. Récit des premiers temps », de Jean-Manuel Roubineau, PUF, 184 p., 12 €, numérique 9,50 €.
Par temps de fièvre olympique, Jean-Manuel Roubineau, dont on n’a pas oublié l’enthousiasmante histoire de la boxe antique, A poings fermés (PUF, 2022), propose une décapante réévaluation de ce que recouvre le terme de « sport », sa promotion et sa glorification, sans perdre de vue le fait que les critères qui le définissent n’ont rien de pérenne ni d’universel.
D’emblée, l’historien précise en effet que, si la confrontation des athlètes et la mémoire des vainqueurs de concours – assurée par des poèmes ou des statues – disent l’importance de l’exploit physique dans l’Antiquité, le sport, tel que nous l’entendons, n’existait pas alors, dans la mesure où il manquait au défi des compétiteurs la dimension ludique aujourd’hui indissociable de l’exercice.
Ce qui advient dans l’espace grec, vers le VIe siècle av. J.-C., quand le principe de collégialité dans l’exercice du pouvoir amène à définir ces codes et règles qui font la singularité du citoyen, c’est la transformation de l’athlète en figure héroïque. Le sport au sens actuel s’inventera plus tard, à l’aube de l’ère industrielle, dans le monde anglo-saxon, quand la concurrence, la compétitivité et la performance deviendront des vertus cardinales et que l’horizon du dépassement imposera la notion de record. Entre ces deux jalons, le primat que la culture judéo-chrétienne octroie à l’esprit sur le corps entraînera une moindre considération pour la confrontation physique, qui sera longtemps tenue pour moins noble que le débat d’idées.
Fort de ces mises au point, qui dissipent le risque de l’anachronisme comme de l’amalgame, Jean-Manuel Roubineau peut analyser la spécificité des pratiques antiques. Au premier chef, le goût de la compétition, qui permet de valider une excellence et vaut aussi pour les jeux de l’esprit, départageant, par exemple, les dramaturges. Même si le temps de l’affrontement peut se doubler d’une trêve, favorisant les débats sans armes, les enjeux politiques s’affichent clairement, tandis que les institutions précisent règles et codes du spectacle « sportif ».
Un archétype physique
Mais l’amont de la compétition compte tout autant, et l’historien nous convie à mesurer la place de l’exercice dans l’apprentissage de l’enfant, à envisager les disciplines retenues, les formes d’entraînement et le rôle de ceux qui les assurent, les impératifs qui touchent la diététique, l’abstinence sexuelle et les soins corporels. L’ensemble dessine un idéal de condition physique mais aussi un affûtage technique et stratégique, dont ressort un archétype physique accentué par la nudité de l’entre-soi athlétique, qui met le citoyen athlète au-dessus de l’homme ordinaire.
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