Une « bombe écologique et sociale ». C’est la formule choc utilisée par Seastemik et Data for Good pour alerter sur les dangers de l’élevage intensif de saumon. A l’appui de leur campagne, ces deux organisations non gouvernementales françaises ont mis en ligne, lundi 14 octobre, la plateforme « Pink Bombs » (bombes roses), qui agrège de nombreuses données sur l’industrie du saumon et ses conséquences pour le bien-être animal, la santé humaine, la biodiversité et le climat. En voici les huit chiffres-clés les plus éclairants.
Un marché qui explose
Encore marginale il y a quelques décennies, la production de saumon a crû de façon spectaculaire. Elle a triplé en vingt ans, passant de 1 million de tonnes au début des années 2000 à près de 3 millions de tonnes aujourd’hui – ce qui représente environ 600 millions de saumons abattus chaque année.
Les moteurs de cette croissance sont, pour l’instant, la Norvège et le Chili, des pays aux eaux froides propices à l’élevage de saumon, qui dominent largement le marché mondial. Mais le développement des « fermes-usines » à terre rebat les cartes, en permettant l’installation de bassins d’élevage dans les pays tempérés ou chauds, de la France à l’Arabie saoudite. D’après le décompte des ONG, les dizaines de projets de ce type en cours de développement pourraient à terme encore faire gonfler la production mondiale de 91 %.
La France porte une responsabilité importante dans la croissance de la demande de saumon. Elle est au quatrième rang mondial des plus grands consommateurs, derrière les Etats-Unis, la Russie et le Japon.
Pour chaque Français, cela représente une moyenne de 4,2 kilos par an. D’après les calculs de pinkbombs.org, ce chiffre est en augmentation substantielle sur les dernières années, puisque les Français ne mangeaient que 3 kilos de saumon par an en 2016.
L’élevage industriel a remplacé la pêche
L’image du saumon pêché dans les fjords de Norvège n’est, pour l’essentiel, plus qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, la capture de saumon sauvage ne couvre qu’une part infime de la consommation mondiale, qui provient à 99,9 % d’élevages en cages marines ou à terre.
La bascule s’est faite dans les années 1980 quand, pour la première fois, l’élevage a produit plus que la pêche. Depuis, l’industrie de l’élevage a augmenté de façon spectaculaire ses capacités de production : les 2,9 millions de tonnes produites en 2021 sont 2 339 fois supérieures aux 1 200 tonnes de saumons sauvages pêchés dans l’Atlantique. Alors que les grands groupes industriels le défendent comme une manière de protéger les stocks naturels de saumons sauvages de l’extinction, l’élevage va en réalité bien au-delà.
Là encore, on est loin de l’image du petit producteur indépendant perdu au fin fond de l’Ecosse ou de l’Islande. L’élevage de saumon est une industrie extrêmement concentrée : plus de la moitié de la production mondiale est contrôlée par dix grands groupes, qui produisent, à eux seuls, 1,5 million de tonnes de saumon chaque année. On retrouve parmi eux les géants norvégiens – Mowi, Salmar, Cermaq et Leroy Seafood – qui dominent le marché, mais aussi des groupes chiliens – Aquachile, Multi X, Australis Seafoods –, le féroïen Bakkafrost et le canadien Cooke.
Manger du saumon et consommer local sont deux envies difficiles à concilier. En effet, la pêche de saumon sauvage est inexistante dans les eaux françaises, trop chaudes, et l’élevage reste marginal. Les deux seules exploitations françaises, situées à Cherbourg (Manche) et à Isigny-sur-Mer (Calvados), produisent à peine quelques centaines de tonnes de saumon, qui couvrent moins de 1 % de la consommation nationale.
Un enjeu écologique
C’est l’une des réalités les moins reluisantes de l’élevage de saumon : une partie substantielle des poissons meurt précocement avant d’arriver à la maturité nécessaire à la consommation humaine, notamment à cause de :
- la propagation rapide des maladies infectieuses dans les bassins de maturation et les cages marines ;
- le stress lié à la densité d’occupation (généralement équivalente à un saumon par baignoire de 200 litres) ;
- les blessures provoquées par le traitement des parasites sur les poissons (qui sont extraits, rincés et parfois brossés).
La Norvège, premier pays producteur, a atteint en 2023 une mortalité record de 100 millions de saumons, soit 16,7 %. Un taux bien supérieur à la mortalité de 10 % jugée « acceptable » par ASC, le label de référence pour saumon « responsable ». « Tout le monde s’accorde à dire que cela ne peut plus durer », reconnaît elle-même l’industrie du saumon norvégienne.
Les données collectées par pinkbombs.org montrent que la plupart des grands groupes affichent des taux de mortalité importants au cours des dernières années, allant jusqu’à 23 % pour la branche écossaise de Bakkafrost, qui commercialise notamment le saumon des Hébrides.
Si l’industrie du saumon se vante régulièrement d’avoir une empreinte carbone largement inférieure à celle de la viande rouge, les émissions de gaz à effet de serre générées par l’élevage n’en restent pas moins substantielles. Elles représentent, en moyenne, selon les sources, entre 5,1 et 10 kilos de CO2 par kilogramme de saumon produit – soit autant, voire plus, que le poulet.
Au-delà du transport vers le consommateur final (qui se fait parfois en avion), l’élevage nécessite de grandes quantités de granulés végétaux et d’huiles et farines de poissons pour nourrir les saumons. Or, la production de soja contribue à la déforestation en Amérique latine, tandis que les aliments d’origine marine s’appuient sur la pêche minotière, qui menace les écosystèmes et la sécurité alimentaire des populations humaines de l’Amérique du Sud à l’Afrique de l’Ouest.