A la dernière Mostra de Venise, de nombreuses équipes de films très attendus ont refusé d’accorder des interviews. Cette posture a provoqué l’indignation de la critique internationale. Une lettre ouverte à l’initiative du journaliste indépendant Marco Consoli a rapidement gagné en visibilité.
Nous, Syndicat français de la critique de cinéma, prenons part à cette protestation. Quand le dialogue entre critiques et créateurs disparaît, laissant place à des conférences de presse formatées aux propos convenus, les films deviennent les accessoires décoratifs des grands festivals de cinéma, vidés de leur substance.
La critique de cinéma existe encore, mais pour combien de temps ? Chaque jour, nous luttons pour préserver cet espace de réflexion dans un paysage médiatique en constante mutation. Face aux éditeurs de presse, il nous faut sans cesse défendre la critique, tout comme le cinéma d’auteur, en équilibre fragile avec les productions grand public et leurs vedettes bankables. A l’extérieur, une menace plus sérieuse encore, pèse sur la critique cinématographique : les stratégies marketing des puissants studios.
Voix achetées
Pour remporter un succès de masse et rentabiliser des films coûteux, l’industrie du cinéma fait le choix mercantile de court-circuiter les médias traditionnels pour atteindre directement le public. L’effacement de la critique par les serviteurs de la communication – des influenceurs choisis, omniprésents sur les réseaux sociaux – est en marche. Parce que les grands studios préfèrent la promotion à la question, ils achètent leurs voix et les promeuvent en nouvelles figures d’autorité du discours cinématographique. Leur docilité envers les intérêts commerciaux fait des influenceurs des porte-parole serviles.
La critique ne se laisse pas acheter. Nous refusons d’être les clients de multinationales du cinéma, qui n’ont de cesse de vouloir plier la critique à leur logique promotionnelle, à l’instar des influenceurs. Les conditions imposées par ces géants constituent des formes de pressions inacceptables : embargos jusqu’au jour de la sortie du film ; interviews après la vision de simples extraits ; questions censurées sous peine d’interruption de l’entretien ; interdiction d’enregistrer les interviews avec nos propres appareils ; journalistes blacklistés pour avoir osé critiquer. Elles piétinent notre liberté et notre indépendance.
Nous alertons sur le danger d’une ère qui éclipse la pluralité des voix et des perspectives, dans le brouillard épais de la confusion virale, où les idées s’effacent. Les réseaux sociaux produisent des contenus volatiles, tandis que la critique forge un corpus durable. Elle ne se contente pas d’analyser l’instant : elle archive, elle participe activement à la construction d’une histoire du cinéma.
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