LETTRE DE VIENNE
En plein milieu du centre commercial, la grande scène a été transformée en autel. A la place des habituelles performances de pole dance, de dressage de chiens ou des concours de beauté qui font la popularité du « Lugner City » de Vienne, c’est un grand portrait en noir et blanc du patron qui accueille les clients. Sous le regard traînant et le sourire bienveillant de Richard Lugner, des dizaines de bougies forment le nom de famille de cet emblématique bâtisseur autrichien dont la mort, mi-août, à l’âge de 91 ans, a déclenché une étonnante vague d’émotion dans ce pays alpin.
« Il a influencé toute mon enfance. Ici, c’était comme ma maison, c’est un lieu très coloré où tout le monde se mélange, et on avait l’habitude de le voir souvent », explique ainsi, avant de fondre en larmes, Celina Fedanci, 21 ans, étudiante en enseignement venue spontanément, ce mercredi 14 août, laisser quelques mots dans le livre de condoléances mis à la disposition de dizaines de clients émus. Comme beaucoup de Viennois, ils appréciaient de voir la silhouette voûtée du propriétaire continuer d’arpenter ce centre commercial jusqu’à son dernier jour ou presque. Très accessible, il était toujours disponible pour un selfie.
Inconnu en dehors des frontières de son pays de neuf millions d’habitants, Richard Lugner était une véritable star nationale en Autriche. Saluant « une personnalité haute en couleur », le chancelier (conservateur) Karl Nehammer a ainsi évoqué une véritable « originalité autrichienne », à l’unisson de toute la classe politique, qui lui a rendu un hommage unanime. La famille Lugner a même appelé « tous les Viennois, toute l’Autriche et au-delà » à venir, samedi 31 août, « faire leurs adieux ensemble » dans l’emblématique cathédrale Saint-Etienne de Vienne, puis à accompagner en cortège son cercueil jusqu’à son centre commercial.
Télé-réalité et élection présidentielle
Mort à 91 ans, celui qui était surnommé « Mortier » [« Mörtel » en allemand] incarnait parfaitement cet esprit autrichien fait de conservatisme vieux jeu, parfois grivois, associé à une camaraderie sans chichis. Fils d’un avocat aux convictions nazies mort sur le front russe pendant la seconde guerre mondiale, il avait fondé dans les années 1960 une entreprise de construction. Mais son premier gros coup date des années 1970, quand il construit la première mosquée de Vienne, financée alors par l’Arabie saoudite, ce qui ne manque pas de sel pour un homme qui a souvent ensuite professé son hostilité à l’immigration.
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