Sans entrer dans le débat politique portant sur les conditions de la nomination, le 5 septembre, de Michel Barnier comme premier ministre ou de sa survie, c’est-à-dire sa « non-censurabilité », nous souhaitons déplacer le regard sur la singularité de cette figure et, plus précisément, sur les choix annoncés, le 21 septembre au soir, d’attribution des portefeuilles, c’est-à-dire de technique gouvernementale.
Ce nouveau gouvernement présente en effet des innovations qui sont loin d’être des éléments accessoires ou des fantaisies personnelles. Trois nouveautés dessinent une nette intention de gouverner le gouvernement à défaut de pouvoir gouverner la France.
Michel Barnier est le deuxième premier ministre de l’histoire politique et institutionnelle française à avoir exercé le pouvoir au sein de la Commission européenne. Avant lui, seul Raymond Barre (1924-2007), commissaire européen de 1967 à 1973, avait accédé à Matignon, en 1976. Ce n’est pas le seul point commun entre les deux hommes.
Michel Barnier a été deux fois membre de la Commission (1999-2004, puis 2010 à 2014), avant la fonction de négociateur en chef du Brexit, occupée jusqu’à fin 2020. Il connaît ainsi parfaitement les arcanes ce que l’on appelle à Bruxelles la « gouvernance » européenne et ses profondes différences avec le mode centralisé et hiérarchique du gouvernement de la Ve République.
Ministères dits « dépensiers »
M. Barnier est à la tête du quatrième gouvernement sans majorité absolue de la Ve République, après celui de Michel Rocard (1930-2016) en 1988, d’Elisabeth Borne en 2022 et de Gabriel Attal en 2024. Devant ces circonstances politiques exceptionnelles de gouvernement le plus minoritaire, son ambition est d’abord de pouvoir véritablement gouverner son gouvernement. Trois innovations en témoignent.
La plus notable est le rattachement du ministère délégué du budget et des comptes publics à Matignon, et non au ministère de l’économie et des finances. Cela ne consiste pas à couper ce ministère en deux, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises, mais à sortir l’arbitrage budgétaire, et donc la puissante direction du budget, de la citadelle de Bercy. Barnier s’inspire ici de Raymond Barre, qui avait été plus loin en cumulant la fonction de premier ministre avec celle de ministre de l’économie et des finances de 1976 à 1978.
Cette innovation constitue un puissant levier de réforme de l’Etat, car il interrompt le petit jeu de négociations entre Bercy et tous les autres ministères dits « dépensiers ». En son temps, Michel Rocard avait souhaité placer la direction du budget à Matignon, sans réussir, en raison de l’opposition du président Mitterrand. Celui-ci avait également refusé, en 1984, la compétence monétaire à Jacques Delors, qui en avait fait la condition pour accepter Matignon.
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