Le sentiment d’injustice peut coller longtemps à la peau. Celle d’Albert Corrieri a les rides de ses 103 ans. Il a eu une vie depuis la guerre. Il a été marié puis veuf, père deux fois et autant de fois grand-père, plombier, chronométreur de boxe et même porteur de la flamme olympique. Quatre-vingts ans plus tard, cet ancien requis du service du travail obligatoire (STO) garde pourtant une mémoire très vive des dix-huit mois qu’il a passés dans une usine de Ludwigshafen, près de Mannheim, au service de l’Allemagne nazie. « La souffrance qu’on a eue là-bas, on ne l’a pas oubliée, confie-t-il. Mais on dirait qu’on est les seuls à s’en rappeler. »
Le Marseillais revoit les soldats qui ont débarqué dans le restaurant La Daurade, où il travaillait sur le Vieux-Port, en mars 1943, pour lui demander ses papiers. Un mois plus tôt, le 16 février, le gouvernement collaborationniste de Vichy avait institué le STO sous la pression du gauleiter (chef de district) Fritz Sauckel, surnommé le « négrier de l’Europe ». Comme la plupart des gens nés entre 1920 et 1922, Albert Corrieri est réquisitionné pour gonfler les rangs des entreprises allemandes, dépouillées par les départs sur le front de l’Est. Direction l’usine chimique IG Farben, à Ludwigshafen, camp 6, baraquement 1 023.
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