Mon téléphone mobile m’écoute-t-il ? Cette question revient sans cesse aux oreilles de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) car de nombreux utilisateurs s’étonnent d’avoir reçu une publicité pour un produit ou un voyage quelques minutes après avoir discuté du sujet à voix haute.
Aucune étude n’a permis de confirmer l’existence d’un tel espionnage publicitaire. Mais si le sujet suscite toujours autant d’interrogations « cela prouve que le consommateur manque d’information » sur le fonctionnement de son smartphone et la quantité de données personnelles qu’il peut collecter, reconnaît un expert technique de la CNIL, notamment sur la possibilité de refuser qu’une application collecte, par exemple, sa géolocalisation.
Selon lui, les utilisateurs ont aussi « du mal à saisir l’impact de la collecte de leurs données personnelles » par leur téléphone : heure de réveil, nombre de pas, déplacements, habitudes de consommation, hobbies… notre mobile et les applications qui y sont téléchargées savent quasiment tout de nous. Prises indépendamment, ces données ont peu de sens. Mais une fois agrégées et couplées à d’autres bases, comme les registres d’état civil, elles permettent de dresser un portrait ultraprécis de l’utilisateur. Ce qui leur donne une immense valeur pour les annonceurs.
« Un capital rare »
Depuis une dizaine d’années, des entreprises, appelées data brokers (courtiers en données), ont prospéré sur ce business : les plus gros se nomment Experian, Equifax, Epsilon, Acxiom et CoreLogic. Selon le cabinet de recherche Knowledge Sourcing, ce marché pourrait frôler 435 milliards de dollars (417 milliards d’euros) en 2025 et dépasser 600 milliards en 2030. Sur son site, Acxiom explique que sa base détient « des données descriptives et de contact précis pour la quasi-totalité des consommateurs américains (…) avec plus de 1 500 attributs ».
« Les data brokers disposent d’un capital rare, même pour un service de renseignement étatique », appuie Alexandre Papaemmanuel, enseignant à l’école d’affaires publiques de Sciences Po, qui a consacré un chapitre sur la « disruption » provoquée par ces acteurs au sein de l’ouvrage Les Mondes du renseignement (Presses universitaires de France, 2024). Les mobiles et les données qu’ils collectent auraient ainsi permis une forme de privatisation du renseignement.