Analyse après analyse, les scientifiques choisissent scrupuleusement leurs mots. Le changement climatique a rendu « la sécheresse agricole subie par l’Amazonie en 2023 environ trente fois plus probable » qu’à l’ère préindustrielle. Les fortes pluies qui ont créé des inondations meurtrières, les 6 et 7 février, sur l’île de Mindanao, aux Philippines, devraient dorénavant « se produire environ une fois tous les dix ans ». La canicule hivernale marocaine – 36,4 °C à Essaouira, mi-février – a provoqué des températures « entre 1 °C et 2 °C plus chaudes qu’elles ne l’auraient été dans le passé ». Au contraire, la vague de froid qui a touché la Scandinavie début janvier (– 44,6 °C, le 5 janvier, à Vittangi, en Suède) est un événement « cinq fois moins probable » et il aurait été « plus froid de 4 °C ».
Tous ces passages sont extraits de quelques-unes des multiples études d’attribution publiées depuis le début de l’année. En pleine expansion, ce domaine de la climatologie s’intéresse aux événements extrêmes, aujourd’hui « plus probables » et « plus intenses », selon les termes employés dans le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont la synthèse a été publiée en mars 2023. Mais à quel point sont-ils renforcés par les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine ? Partout à travers le monde, des centaines de chercheurs tentent de répondre à cette question en décryptant les canicules, les sécheresses ou encore les inondations. Un exercice à la frontière entre la science et les débats de société, comme un trait d’union entre les laboratoires de modélisation climatique et les citoyens étonnés ou sceptiques.
« Entre climatologues, cela fait longtemps qu’on a tout à fait conscience qu’un des enjeux est d’arriver à expliquer que l’évolution globale du climat a des impacts sur la vie quotidienne des gens. La science de l’attribution est née de cette réflexion », explique Robert Vautard, coprésident du groupe 1 du GIEC, rejoint par Aurélien Ribes, climatologue et contributeur du GIEC : « Les études d’attribution ont eu le grand mérite de sensibiliser le grand public, en utilisant la survenue d’un événement extrême comme une fenêtre d’opportunité pour illustrer une manifestation concrète du changement climatique. »
Etablir différents scénarios d’évolution du climat
La science de l’attribution est née au début du XXIe siècle après un énième ras-le-bol, réaction assez courante chez les climatologues. En 2003, la Tamise déborde et Oxford se retrouve sous l’eau. Le climatologue britannique Myles Allen écrit un article dans la revue Nature. « Sera-t-il un jour possible de poursuivre quelqu’un en justice pour atteinte au climat ? », s’interroge-t-il, après avoir vu des citoyens ordinaires perdre une partie de la valeur de leurs biens immobiliers. Et il propose une méthodologie : comparer la probabilité d’occurrence d’un événement dans un monde factuel – le monde tel qu’il est – et un monde contrefactuel, c’est-à-dire tel qu’il aurait été sans émissions de CO2 d’origine humaine.
Il vous reste 73.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.