CINÉ+ CLASSIC – MARDI 4 FÉVRIER À 22 H 15 – DOCUMENTAIRE
Même si d’autres, bien différentes, sont venues s’ajouter des décennies plus tard, cette scène-là a particulièrement imprimé notre rétine et notre inconscient. Celle d’un groupe d’Indiens montés à cheval, lancés au galop contre l’ennemi « blanc » en hurlant « wouhouh », la main devant la bouche. Un groupe uniforme, sans visage distinct, ni vie singulière, ayant pour unique fonction d’incarner les méchants.
Combien de fois avons-nous vu ce stéréotype de la horde sauvage et sanguinaire dans les westerns, fussent-ils, pour certains d’entre eux, classés parmi les chefs-d’œuvre ? Entre autres, La Chevauchée fantastique de John Ford (1939) que Frank Garcia Berumen, professeur et historien, n’hésite pas aujourd’hui à qualifier de grand film pour le cinéma mais « catastrophique » pour les Amérindiens. Il sait de quoi il parle, lui dont l’enfance fut bercée par ces séquences simplistes et fausses qu’il jugeait « insultantes ».
Tous les intervenants sollicités dans le documentaire sont, comme Frank Garcia Berumen, directement concernés. Les actrices Tantoo Cardinal et Irene Bedard, le dramaturge Hanay Geiogamah, l’acteur et producteur Darrell Redleaf-Fielder commentent les films avec lesquels ils ont grandi, se remémorent des souvenirs, la réalité de leur jeunesse et celle de leurs parents. Tel est le parti pris choisi par les deux sœurs réalisatrices, Julia et Clara Kuperberg, qui ont décidé de donner la parole aux Amérindiens afin qu’ils racontent eux-mêmes leur histoire, et la façon dont le cinéma s’en est emparé, en la falsifiant à dessein.
Propagande
Les extraits de films qui viennent étayer le propos sont redoutables, comme celui tiré du long-métrage de Cecil B. DeMille Une aventure de Buffalo Bill (1936), où les Indiens apparaissent puérils, voire stupides, incapables de résister à leur désir sexuel pour les femmes blanches. Mis bout à bout, ces extraits racontent à quel point ils ont pu servir une propagande qui visait à justifier le massacre des Indiens et l’accaparement de leurs terres. Laquelle se résumait en cette phrase : « Tuer le sauvage pour sauver l’homme » dont usaient, comme un mantra, les colons américains, l’Eglise et les divers gouvernements qui se sont succédé.
Projetées durant près d’un siècle, ces images mirent du temps avant d’être corrigées. Il faudra la seconde guerre mondiale (pour laquelle l’armée américaine recruta des Amérindiens dont on vanta les qualités de soldats), et surtout la guerre du Vietnam et les mouvements contestataires des années 1960-1970, pour que les consciences se réveillent, et que les Amérindiens prennent un visage humain. Le cinéma témoigne de l’évolution des mentalités. En 1971, sort Billy Jack, de Tom Laughlin, où, pour la première fois, le héros du film est un Amérindien, vétéran de la guerre du Vietnam venant à bout d’un gang de motards sans foi ni loi.
Suivront Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman (1975), dans lequel Randall Patrick McMurphy (Jack Nicholson) se lie d’amitié avec « Chef » Bromden (interprété par l’Amérindien Will Sampson), un interne dont le physique de colosse cache en réalité un être d’une profonde douceur, Danse avec les loups, de Kevin Costner (1990), Phoenix Arizona, réalisé par l’Amérindien Chris Eyre (1998)… Progressivement, les Indiens sont sortis de l’anonymat auquel ils furent longtemps réduits. « On ne va pas disparaître puisqu’on nous voit enfin », conclut joliment, avec optimisme, Frank Garcia Berumen.
Les Indiens à Hollywood, de Julia et Clara Kuperberg (Fr., 2022, 60 min).