A Lille, « toutes les classes sociales étaient là, y compris les classes moyennes et les bobos »
Alexandre Humbert, musicien, ne suit normalement « pas beaucoup l’actualité » mais là, venir à la manifestation démarrant de la mairie de Lille, à 14 h 30 précises, a semblé une évidence, comme à son épouse, Camille. Les quarantenaires sont soulagés, ils le disent, de « se retrouver dans cette ambiance, celle de gauche ».
La foule se masse et grossit, bientôt il y aura plusieurs dizaines de milliers de manifestants le long d’un cortège qui dépasse le kilomètre à certains moments, long serpent où règne une ambiance bon enfant, avec drapeaux mélangés, groupes politiques d’extrême gauche, syndicats, planning familial, des jeunes, des vieux, des fanfares, quelques parents avec des enfants sur des vélos.
Les revendications tournent autour de la santé, de l’éducation, sur fond de défiance à l’égard du gouvernement. « Il y a une caste à part qui domine tout », dit Loup Blanc, animateur culturel et auteur. A côté de lui, Olivier Gillioz décortique le malaise au travail, l’érosion des revenus, la vie qui s’effrite. Les deux amis ne savent pas si « un mouvement [comme ça] venu de la base à une chance d’aboutir, mais puisque les autres plus encadrés de façon traditionnelle ne donnent rien… cherchons une voie transversale ».
Plus tard dans l’après-midi, alors que le long cortège a traversé Lille dans une ambiance de kermesse, des heurts éclatent à l’approche du théâtre de Sébastopol, rue de Solférino. Les forces de l’ordre nappent de gaz, le cortège hoquette, pleure, hurle, finit par passer néanmoins sous les canons à eau pour atteindre la place de la République où la dispersion va se faire de force.
Noria, habituée des manifestations, a parcouru le cortège en tous sens pour être certaine de voir sa taille, si longue, et sa diversité – « Toutes les classes sociales étaient là, y compris les classes moyennes et les bobos. » Elle sent dans l’air qui brûle autre chose que des gaz lacrymogènes : « Il y a quelque chose qui échappe à ce gouvernement… Il ne s’attendait pas à ce nombre, à cette mobilisation. Et on sent qu’il y a une faille, on sent qu’il y a une faiblesse. » Et de détailler les violences policières de la journée en concluant : « On est entrés dans une ère radicale de l’Etat. »