Les portraits de l’Américaine Deana Lawson tissent des histoires contradictoires qui nous poussent à nous interroger. Son portrait de Daenare, une femme vivant dans une favela de Salvador, au Brésil, allongée nue sur un escalier sous un tableau de fleurs, pourrait évoquer par sa pose alanguie certains tableaux de l’histoire de la peinture, comme La Grande Odalisque (1814), d’Ingres. Sauf qu’ici le modèle a la peau noire, elle est enceinte et elle porte, discrètement accroché à la cheville, un bracelet électronique. Difficile de ne pas voir, derrière le portrait de cette beauté, une allusion à la proportion de personnes noires incarcérées aux Etats-Unis et dans le monde. « J’aime quand la vie interfère de façon imprévue dans les images », raconte la photographe jointe par téléphone : elle a rencontré la jeune femme par hasard et ne savait pas, avant la séance de pose, qu’elle portait ce dispositif.
En mêlant documentaire et mise en scène, les photographies de Deana Lawson offrent souvent un abord déroutant et ambigu. Depuis ses débuts, l’artiste de 46 ans, née à Rochester, dans l’Etat de New York, photographie des personnes noires, aux Etats-Unis mais aussi dans d’autres pays, dans des grands formats pris à la chambre argentique, en incluant des détails soigneusement étudiés et des poses qu’elle met au point avec ses modèles. « Le degré de mise en scène dépend totalement de la personne, du lieu, de la situation, précise-t-elle. Beaucoup de mes images sont faites sans intervention. » Elle tire parti des intérieurs modestes, des décors surchargés ou de la télécommande qui traîne, des tapis à fleurs et des coussins, des habits et des bijoux pour créer des images complexes et intimes où les sujets occupent fièrement l’espace.
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