Je me suis d’abord dit que je n’en écrirais rien. Encore Trump, encore les médias – des sujets dont nous avons tant parlé. Pourquoi y revenir ? Pourtant, depuis des heures, une phrase ne me quitte pas. Tantôt elle me met en colère, tantôt elle me plonge dans la tristesse. Alors, autant l’écrire. Cette phrase, « Things happen [ce sont des choses qui arrivent] », prononcée par Donald Trump dans le bureau Ovale, en présence du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, révèle tout de son rapport au pouvoir.
Deux mots qui condensent la banalité du mal, la trahison de la vérité et le vide moral de la politique. Il y a sept ans, le journaliste Jamal Khashoggi fut assassiné et démembré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. La CIA a désigné Mohammed Ben Salman comme commanditaire. Le monde s’était alors indigné. L’espace d’un instant, les principes semblaient l’emporter sur le pétrole. Jusqu’à cette semaine. Pour sa première visite à Washington depuis le meurtre, Mohammed Ben Salman a été reçu avec faste : chevaux, fanfares, avions de chasse, contrats en milliards. Et, au milieu de ce spectacle diplomatique, Donald Trump a réécrit l’histoire : « A lot of people didn’t like that gentleman… Things happen. » En un instant, une exécution politique a été réduite au rang d’accident. Le sang sur les mains des puissants se transforme en tache sur la moquette.
Le confort du mensonge
Ce n’est plus seulement une faute morale, c’est une déclaration de principes. En banalisant un assassinat, Trump envoie un message clair à tous les despotes : vous pouvez agir sans crainte. Même la veuve de Khashoggi, Hanan Elatr, l’a rappelé sur X : « Même le coupable a montré plus de honte que le dirigeant du pays qui prétend défendre la liberté de la presse. » « Things happen » n’est pas une simple phrase : c’est une philosophie cynique du pouvoir. C’est la langue de ceux qui se croient intouchables, du relativisme qui étouffe toute responsabilité. Et c’est précisément pour cela que le journalisme demeure vital. Car celui qui écrit rompt le confort du mensonge. Celui qui questionne empêche l’oubli. Jamal Khashoggi croyait à la transparence et à la force des mots. Son meurtre visait à tuer cette foi. Chaque fois qu’un journaliste ose parler du pouvoir, il le fait revivre.
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