Il y a quinze ans, le 12 janvier 2010, Haïti était frappé de plein fouet par un séisme de grande ampleur qui allait faire autour de 280 000 morts. Le monde découvrait ou redécouvrait ce pays au prisme de cette catastrophe. Le drame suscita d’emblée un élan de solidarité mondial. Mais la conjonction médiatique et humanitaire, reproduisant et confortant les clichés attachés à une population noire, pauvre, du Sud, allait pour longtemps consacrer l’image de victimes passives et impuissantes d’un pays maudit qu’il nous revenait – à nous, Etats du Nord, riches, développés, civilisés – de sauver.
Haïti ne constitue pas un cas à part, mais bien un cas extrême de la logique humanitaire : une déferlante non coordonnée d’ONG et organisations internationales, ignorant superbement le contexte haïtien et confondant visibilité et efficacité, ne cessant de se substituer aux acteurs locaux, pressées de répondre aux effets immédiats plutôt qu’aux causes structurelles de la catastrophe. Prenant prétexte de la faiblesse et de la corruption de l’Etat haïtien, les acteurs internationaux contournèrent celui-ci, avec pour effet paradoxal de l’affaiblir davantage encore.
« Reconstruire en mieux », prétendait-on. Quinze ans plus tard, force est de reconnaître que rien de durable n’a été construit et que les Haïtiennes et Haïtiens vivent une situation pire qu’en janvier 2010. Depuis les grandes manifestations de 2018 contre la vie chère et la corruption – et en réaction à celles-ci –, les gangs armés se sont développés et renforcés, au point de contrôler la quasi-totalité de la capitale, Port-au-Prince, et d’imposer le règne de la terreur. Aujourd’hui, près de la moitié de la population haïtienne – soit deux fois plus qu’au lendemain du séisme – a besoin d’une aide humanitaire.
Spirale d’endettement
Ce tournant doit nous en rappeler un autre. Le 17 avril 1825, Charles X signe une ordonnance par laquelle la France « ordonne » à Haïti de lui accorder un accès privilégié à son commerce et de « dédommager les anciens colons », en payant une indemnité de 150 millions de francs. A ces conditions, elle « concède » l’indépendance à son ancienne colonie, qui, en battant les troupes napoléoniennes, s’était libérée 21 ans plus tôt, devenant en 1804 la première nation issue de la révolution d’esclaves noirs. A défaut de changer l’histoire, on l’a réécrite.
Il vous reste 58.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.