Après trois ans de guerre, une institution ukrainienne continue à fonctionner coûte que coûte : l’opéra de Kiev.
Chaque jour, les spectacles attirent des centaines de spectateurs.
Mais il demeure impensable de mettre en avant le répertoire russe.
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Ukraine : 4ᵉ année de guerre
Entre les bombardements, la poésie. Et au milieu des frappes, un véritable ballet. L’opéra national de Kiev mène le combat à son échelle, comme on le découvre dans le reportage du 13H ci-dessus. Depuis trois ans, il continue de fonctionner pour rendre la vie des Ukrainiens un peu moins pénible.
Cinquante de ses artistes sont déjà partis se battre sur le front. Pour Tetiana Lozova, danseuse étoile du ballet de l’Opéra national d’Ukraine, impossible de ne pas penser à eux quand elle enfile son tutu : « Le premier partenaire avec qui j’ai dansé, Oleksandr Shapoval, est courageusement allé à la guerre dès les premiers jours et malheureusement, il est mort. Ça fait trois ans qu’il n’est plus avec nous. » L’ancien soliste du ballet, devenu professeur de danse, s’était engagé juste après l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Il est mort le 12 septembre suivant au cours d’un bombardement de mortiers russes lors de la bataille de Majorsk, à l’âge de 48 ans.
Un danseur français sur scène
Le bâtiment de style néo-Renaissance de l’opéra ne passe pas inaperçu dans le centre-ville de Kiev, près des rives du Dniepr. En journée, les visites s’enchaînent et, en coulisses, les décors et les costumes sont fabriqués à la main. Après l’offensive russe, l’opéra, fondé en 1867, n’avait pas pu ouvrir pendant trois mois. Mais depuis, ses portes ne se sont jamais refermées.
C’est difficile à gérer, moralement et physiquement.
C’est difficile à gérer, moralement et physiquement.
Anzhelina Chvatchka, cantatrice
Anzhelina Chvatchka, cantatrice, continue, elle aussi, à se produire sur scène. Pourtant, sa voix trahit parfois ses angoisses. « Tu chantes, tu pousses ta voix, tu es dans ton costume. Et tout à coup, il y a une alerte aérienne. C’est difficile à gérer, moralement et physiquement », confie au micro de TF1 celle qui joue en ce moment Le Barbier de Séville. Croyante, elle fait une prière avant chaque spectacle pour protéger sa troupe.
À 27 ans, Clément Guillaume a été embauché comme danseur à l’opéra. Ce Français s’est installé il y a quelques années en Ukraine, pays d’origine de sa femme. Il a donc dû s’habituer à un nouveau quotidien, rythmé par les bombardements russes. « Les spectacles sont arrêtés pendant les alertes aériennes. On s’arrête en plein milieu et on reprend quand l’alerte est terminée », explique le jeune homme.
Le répertoire des pièces jouées sur scène est très large… à une exception près : « Il est absolument impossible de mettre en lumière sur notre scène des œuvres venues de Russie, ce pays qui nous agresse. Cette décision a été prise collégialement, ça n’est pas seulement moi, c’est tout un collectif », assure le directeur artistique, Anatoliy Solovianenko.
Autre changement depuis 2022 : la salle est normalement prévue pour 1.300 personnes, mais seules 600 sont désormais accueillies chaque soir, l’équivalent de la capacité d’accueil des bunkers en cas d’alerte. Deux étages ont donc été totalement condamnés. Malgré cela, la magie opère toujours et, le temps du spectacle, la guerre paraît bien loin de ce joyau culturel, acteur ukrainien de la résistance.