Enchaîner deux leçons d’écriture chorégraphique n’est pas une affaire courante. Dans le flot de divertissements tendance sucres rapides qui se diluent illico dans le sang, la lecture de spectacles consistants et complexes devient presque une anomalie. Elle exige une attention et une concentration auxquelles la vitesse de consommation des réseaux sociaux nous déshabitue peu à peu.
Le parti pris affirmé par le festival Montpellier Danse, sous la direction affûtée de Jean-Paul Montanari, qui signe ici sa quarante-quatrième, et ultime, édition, de défendre les auteurs et autrices de la danse contemporaine se révèle une excellente occasion de lire des œuvres aussi savantes que stylées. Il a tapé très fort dès l’ouverture de la manifestation, le samedi 22 juin. Le Britannique Wayne McGregor, tête de proue des artistes high-tech, et le Japonais Saburo Teshigawara, chacun avec sa gestuelle curieusement ondulée et immédiatement reconnaissable, ont mis d’emblée la barre haut devant un public adhérant à leurs univers envoûtants.
Dans l’imposante salle de l’Opéra Berlioz, au Corum, Wayne McGregor, qui a ici travaillé à partir d’un système d’intelligence artificielle (IA) élaboré depuis plusieurs années dans ses studios londoniens, a entraîné très loin les 2 000 spectateurs avec Deepstaria. Sous ce titre évoquant une méduse géante qui se régénère sans cesse et vit dans les profondeurs des océans, il explore l’attraction du vide et de l’obscurité. Avec neuf danseurs, il déploie un incroyable panoramique dont les tableaux se fondent comme des plans cinématographiques. Sons rocailleux ou stridents imaginés par le concepteur sonore Nicolas Becker et le producteur musical LEXX, dramaturgie lumineuse de rideaux laser qui s’ouvrent et se referment, pluie électronique, Deepstaria est un livre d’images ultra-sophistiquées.
Bombes de technique
La gestuelle des interprètes, tous des bombes de technique, se fait liquide au fil de la pièce, comme leurs costumes, blancs gazeux tels des voiles. Plus que jamais, McGregor met sous haute pression la virtuosité. Sa syntaxe segmentée au miroir d’un corps dont chacun des membres semble vouloir exprimer quelque chose d’opposé ou de contradictoire aux autres éclate.
![« Deepstaria », de Wayne McGregor, à Londres, en 2024.](https://img.lemde.fr/2024/06/26/0/0/8717/5811/664/0/75/0/e067420_1719411433766-wayne-mcgregors-deepstaria-company-wayne-mcgregor-naia-bautista-salome-pressac-laban-theatre-london-2024-photo-credit-ravi-deepres-10.jpg)
Particulièrement musclée, quasi gymnique même, avec des battements à la verticale, des écarts extrêmes, des pliés rase-mottes, son écriture insatiable ne connaît pas de point final et tire à la ligne. Manque également, dans ce haut débit, l’émotion qui irradiait notamment dans son spectacle pour quarante interprètes The Dante Project, créé en 2023 à l’Opéra national de Paris sur la musique luxuriante du compositeur Thomas Adès.
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