C’est d’abord et avant tout un style qu’a cherché à imprimer Michel Barnier, à l’occasion de sa déclaration de politique générale, mardi 1er octobre. Dans un Hémicycle divisé et bruyant, le premier ministre, qui tente de transformer son expérience et son âge en atouts, a fait l’éloge de « l’écoute, du respect et du dialogue » sans jamais élever la voix, en prenant à témoin les Français, qui « ne nous pardonneraient pas l’immobilisme ». Une façon de conjurer la fragilité de son assise, alors que tous les groupes sont en embuscade.
L’exercice, en demi-teinte, n’équivaut pas à une reddition, au contraire. D’emblée, l’hôte de Matignon, issu des rangs du parti Les Républicains (LR), s’est démarqué d’Emmanuel Macron. Son éloge appuyé des partenaires sociaux et des collectivités locales, qu’il entend remettre dans le jeu, est une critique implicite de la verticalité du président de la République. La confirmation, dans le prochain budget, d’une surtaxation des grandes entreprises « qui réalisent des profits importants » et « d’une contribution exceptionnelle » demandée aux « Français les plus fortunés » est une remise en cause du dogme fiscal en vigueur depuis sept ans. Conjugués aux économies budgétaires, qui constitueront « les deux tiers » de l’effort, ces deux prélèvements visent à affronter une « dette colossale », qui pèse comme une « épée de Damoclès ».
Enoncé en termes courtois, l’inventaire de la situation budgétaire n’en est que plus implacable. La troisième rupture concerne la gestion du dossier calédonien : en annonçant l’abandon de la réforme du corps électoral et le report des élections locales, Michel Barnier se donne pour mission d’éteindre l’incendie allumé par la précipitation et les maladresses accumulées par l’Elysée et le gouvernement précédent.
Dans les autres domaines, le premier ministre s’est révélé plus accommodant, reprenant à son compte certaines pistes tracées par ses prédécesseurs pour mieux rémunérer le travail, améliorer le fonctionnement de l’école, lutter contre les déserts médicaux, répondre au malaise agricole, traiter la crise du logement ou encore renforcer la sécurité.
Faire « avec peu »
Sur l’immigration, l’approche revendiquée se veut ferme mais pragmatique. Elle contraste avec l’offensive dangereuse de son ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, parti en croisade contre l’Etat de droit sur les terres de Marine Le Pen. « Je suis profondément attaché à l’indépendance et à l’impartialité de la justice », a assuré Michel Barnier. Qu’il ait fallu attendre plus d’une heure avant que cette affirmation en forme de recadrage soit énoncée n’est cependant guère rassurant.
Des gages ont été donnés aux écologistes et à la gauche à travers la mise en exergue de la dette écologique et la pérennisation des grandes réforme de société. Promesse a été faite de mettre à l’étude le scrutin proportionnel, mais, sur la plupart des sujets, Michel Barnier est resté elliptique et flou, car non seulement il doit faire « avec peu », mais ses marges de manœuvre politiques sont proches de zéro.
La gauche, en réaction au « déni démocratique » dont elle s’estime victime, s’apprête à déposer une motion de censure. Ce n’est pourtant pas de ses rangs que vient le danger le plus immédiat. Ni de ceux du Rassemblement national, qui n’a guère intérêt au grabuge tant que Marine Le Pen est en procès. Le premier danger vient des rangs de la fragile coalition censée soutenir Michel Barnier. LR veut une politique de rupture encore plus affirmée, les macronistes s’arc-boutent contre les hausses d’impôts. Tout reste à affiner avant la divulgation, la semaine prochaine, du projet de loi de finances, qui sera la première épreuve de Michel Barnier, mais certainement pas la dernière.