Les dirigeants européens réunis à Londres ont convenu de « réarmer » l’Europe.
Il s’agit aussi de repenser une défense européenne qui s’était construite autour de la protection américaine.
Mais s’ils souhaitent s’émanciper de Washington, les Européens doivent constater que leur armement provient en grande partie des États-Unis, à l’image de l’avion militaire F35.
Suivez la couverture complète
Le clash Trump-Zelensky, un tournant dans la guerre en Ukraine ?
Dans la foulée de l’altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche ce vendredi 28 février, les dirigeants européens réunis ce dimanche à Londres ont convenu de « réarmer l’Europe », selon les termes de la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen. Un financement accru des budgets consacrés à la Défense par les pays européens semble devoir se matérialiser, après trois ans d’atermoiements, à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022.
L’Europe veut dépenser plus, pour sortir de sa dépendance à la protection militaire américaine dont elle bénéficiait depuis l’après-guerre, qui ne paraît plus assurée face à la menace russe. Mais dépenser comment ? La défense européenne, une idée longtemps renvoyée à plus tard, est en l’état l’addition des armées et de l’arsenal de chacun des membres de l’UE, augmentée éventuellement de la participation britannique.
Un ensemble hétéroclite qui ne forme pas une armée, ni en hommes, ni en matériel. Or, si le Vieux continent doit s’émanciper de la protection américaine à marche forcée, il doit aussi s’appuyer sur un arsenal qui ne dépende plus d’un ex-allié dont les intérêts seraient devenus divergents. Et c’est là que le bât blesse, car l’armement européen est en grande partie acheté aux États-Unis. Le leadership américain de l’Otan s’accompagnait d’une bienveillance mutuelle tacite, désormais caduque, et dont le pendant était l’achat de matériel américain. C’est notamment le cas pour l’emblématique chasseur F35, de la firme américaine Lockheed Martin, dont au moins 10 armées européennes sont équipées, ou sur le point de l’être.
La France et la Suède, seules exceptions dans l’UE
Le F-35 Lightning II, de son nom complet, conçu à la fin des années 90 comme l’appareil qui pourra être utilisé par l’ensemble des corps d’armée américains, a connu de nombreux ratés techniques et commerciaux qui ont longtemps différé sa généralisation. Son nom même, qui signifie « éclair » en anglais, lui avait attiré les moqueries des pilotes : l’appareil était en fait notoirement sensible à la foudre, avant que les ingénieurs ne règlent le problème. Le carnet de commandes de Lockheed Martin est néanmoins bien rempli désormais, avec notamment un grand nombre d’acheteurs européens et/ou appartenant à l’Otan. L’Allemagne en a ainsi commandé 35, la Belgique 34, le Danemark 27, et l’Italie 90. La dernière commande en date est celle de la Roumanie (nouvelle fenêtre), qui a signé en novembre 2024 un contrat portant sur l’acquisition de 32 F-35, pour 6,1 milliards d’euros.
Seules la France et la Suède font exception dans l’UE, en produisant leurs propres chasseurs, le Rafale (nouvelle fenêtre) pour la première, le Gripen pour la seconde, des appareils qui équipent aussi certains de nos partenaires européens, mais marginalement par rapport à l’hégémonie du F35. Quant à l’Eurofighter, il équipe principalement, mais seulement pour partie, les armées des pays qui composent son consortium : l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, et l’Espagne. Pour se renforcer sans financer en même temps l’industrie militaire américaine, l’Europe devrait donc non seulement disposer d’un rival solide face au F35, mais aussi mettre sur pied des outils de production d’un tout autre calibre que ceux dont elle dispose. Le Rafale peut rivaliser avec son concurrent américain, même s’il lui manque la furtivité et que sa trop grande polyvalence l’a longtemps pénalisé, mais son prix de vente et de maintenance reste rédhibitoire (nouvelle fenêtre) pour les petits pays.
« Si les États-Unis attaquaient le Groenland, aucun pays européen ne pourrait faire décoller ses F-35 pour le défendre, car ils ont un système de blocage si le plan de vol ne convient pas au Pentagone », affirmait récemment le député LR européen Christophe Gomart, dans un entretien rapporté par Libération (nouvelle fenêtre). Une hypothèse crédible, selon un ancien pilote contacté par le quotidien. La perte « des clés de cryptage et de l’approvisionnement en pièces de rechange » pourrait ainsi clouer au sol la flotte des pays européens en quelques jours, si les États-Unis pratiquaient le plus haut degré de coercition contre ses ex-alliés.
Les réponses sont en fait nuancées, de la part d’autres militaires, quant à une impossibilité totale de faire voler une flotte de F35, si les États-Unis en décidaient ainsi. Mais les problèmes d’exploitation seraient de toute façon multipliés, faute d’une maintenance suivie, et à cause de l’armement emporté par les appareils, lui aussi très majoritairement de facture américaine.
Les exercices militaires à grande échelle entre pays européens réalisés ces toutes dernières années tendent à mettre en lumière la difficulté à coordonner des contingents dont les systèmes opérationnels sont très différents. La construction d’une véritable défense européenne passerait donc par la mise sur pied d’une industrie militaire sur le Vieux continent. Si 25 firmes d’armement européennes font partie des 100 plus importantes au monde, le sommet de ce classement est littéralement monopolisé par les sociétés américaines, qui fournissent notamment les cinq leaders mondiaux.
Un défi que l’Europe peut relever, mais dans une perspective beaucoup plus lointaine que ne l’exige la guerre qui se déroule actuellement sur le sol ukrainien, qu’un accord sous supervision américaine pourrait stopper prochainement aux seules conditions de Moscou.