Ô jour de liesse ! Nous sommes le 26 mars 2025 : Pierre Boulez aurait aujourd’hui 100 ans. Me voilà dans la petite salle de la Philharmonie, à Paris. J’assiste à un atelier consacré à une œuvre de jeunesse du compositeur, intitulée Polyphonie X. C’est une conférence suivie d’un concert.
Il est question du scandale suscité par la création de l’œuvre, en 1951 (elle fut ensuite reniée par le maître). De sa genèse passionnante : la partition d’origine serait une sorte de « pierre de Rosette ». Et de tant de choses compliquées car, comme disait Boulez, « le diable se trouve dans un labyrinthe ». Un labyrinthe dans lequel je me retrouve aussi, tant les explications musicologiques prodiguées restent peu accessibles aux profanes.
Comment rester digne dans une telle situation ? Il y a la voie du sarcasme, qui serait d’une facilité et d’une banalité consternantes, et celle du complexe (en même temps, je ne viens pas à son anniv pour me faire insulter).
Ce ne sera ni l’un ni l’autre car, je dois vous l’avouer, j’ai une botte secrète et imparable, un joujou extra. Quand je rencontre un problème avec la musique de Boulez, je l’imagine dormir dans un petit lit une place. Ce qui fait aussitôt fondre mon cœur, ouvre grand ma sensibilité, libère mes émotions et me permet d’aimer chaque jour davantage tout ce qu’il a composé.
Un puriste serait sans doute choqué par ce minable artifice. Tant de trivialité alors qu’il s’agit d’un homme dont la vie privée est restée presque totalement secrète…
Trésor de pirate
Et pourtant, cet habile stratagème, ce puissant viatique, n’est pas gratuit. Il me vient de la lecture de la biographie Pierre Boulez (Fayard, 2019), rédigée par Christian Merlin : « Quant à la chambre qu’occupait le chef dans la maison des Frankel [une famille d’industriels et de mécènes de Cleveland], Boulez a demandé à ce que le lit jumeau en soit retiré, tout comme il demandait un petit lit dans les hôtels où il séjournait. »
On pourra s’étonner que cette minuscule notation, tirée d’un ouvrage de 600 pages, provoque un tel effet sur moi. On pourra trouver le détail dérisoire. Et pourtant, tout est là, dans le diable du détail du labyrinthe. De Boulez, on connaît des colères, la rigueur, l’intransigeance. Mais il n’était pas que cela. Il est aussi l’homme de cette anecdote au petit lit.
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