Ce n’était pas un secret, mais rien n’avait encore été officiellement confirmé. Volodymyr Zelensky a, pour la première fois, fait clairement état, lundi 7 avril, de la présence de troupes ukrainiennes dans l’oblast russe de Belgorod, où elles ont lancé une offensive trois semaines plus tôt, alors qu’elles reculaient dans celui de Koursk, sept mois après s’y être emparées d’un millier de kilomètres carrés à la surprise générale.
« Aujourd’hui, le commandant en chef, Oleksandr Syrsky, a fait un rapport séparé sur la situation au front, notamment sur notre présence dans les oblasts de Koursk et de Belgorod. Nous continuons à mener des opérations actives dans les zones frontalières, en territoire ennemi, et c’est tout à fait juste – la guerre doit revenir à son point de départ », a déclaré le président ukrainien, au cours de son allocution quotidienne.
Le ministère de la défense russe avait annoncé, le 18 mars, l’échec d’une série d’offensives ukrainiennes dans les secteurs de Demidovka et de Prilesse, deux localités de l’oblast de Belgorod proches de la frontière, situées à quelques dizaines de kilomètres au sud de la « poche » de Koursk. L’objectif était, selon lui, de « créer un contexte négatif » avant l’entretien téléphonique entre le président américain, Donald Trump, et son homologue russe, Vladimir Poutine, qui s’est déroulé le même jour. « Ainsi, la provocation du régime de Kiev à la veille des négociations russo-américaines au plus haut niveau a été déjouée », écrivait-il dans un communiqué.
Plusieurs blogueurs militaires russes, dont Rybar, réputé proche du même ministère de la défense, ont toutefois signalé, quelques jours plus tard, la présence de militaires ukrainiens à Demidovka et à Popovka, plus à l’ouest, ce que l’Institute for the Study of War (ISW), cercle de réflexion américain qui fait autorité, a confirmé sur la foi d’images géolocalisées. Ils en ont, selon eux, été au moins en partie repoussés depuis, mais d’intenses combats continuent à faire rage dans ces secteurs du raïon Krasnoïaroujski, dont les habitants ont, pour la plupart, été évacués, d’après Viatcheslav Gladkov, gouverneur de l’oblast. Selon l’ISW et les analystes du site ukrainien DeepState, qui surveillent l’évolution du front sur la base d’informations en sources ouvertes, les forces ukrainiennes y tenaient le 6 avril deux poches d’une surface cumulée de l’ordre de 13 kilomètres carrés.
Zone tampon
Des combattants russes engagés aux côtés des forces ukrainiennes avaient déjà mené de brèves incursions, en 2023 et au début de 2024, dans l’oblast de Belgorod, mais la dernière opération semble donc plus durable. Les images vidéo diffusées par les blogueurs russes montrent qu’elle a été menée par de petits groupes d’infanterie auxquels des blindés ont ouvert la voie à travers le dispositif défensif frontalier fait de « dents de dragon » et de champs de mines. Son ampleur est donc nettement plus limitée que celle de l’oblast de Koursk, lancée en août, mais la présence de blindés Marder et Bradley, de fabrication allemande et américaine, laisse supposer que l’armée ukrainienne y a engagé certaines de ses meilleures unités, ce qui peut surprendre alors qu’elle recule dans l’oblast de Koursk et le Donbass.
« C’est pourtant une nécessité », observe Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études de stratégie et de défense de l’Université Lyon III. « Pour mener une offensive, il faut des unités qui savent manœuvrer. Il est donc nécessaire de mobiliser les meilleures. Reste à savoir quel est l’intérêt stratégique », souligne-t-il.
L’objectif serait, d’après les blogueurs russes et plusieurs experts militaires, dont Ivan Stoupak, ancien membre du Service de sécurité d’Ukraine, de faire diversion pour alléger l’intense pression exercée sur les derniers réduits ukrainiens de l’oblast de Koursk, dont la reconquête semble en voie d’achèvement. Le ministère de la défense russe a annoncé mardi la prise de Gouïevo, l’un des derniers villages aux mains de l’armée ukrainienne.
Dans son allocution de lundi, Volodymyr Zelensky a, quant à lui, expliqué qu’il s’agissait de « protéger autant que possible » les oblasts ukrainiens de Soumy et de Kharkiv d’une éventuelle offensive russe. « Il est important que, grâce à la bravoure et à la résistance de nos soldats dans l’oblast de Koursk (…), nous soyons parvenus à alléger la pression sur d’autres parties du front, en particulier dans l’oblast de Donetsk », a-t-il ajouté, semblant reconnaître la perte de cette poche dont il espérait faire une monnaie d’échange dans le cadre de négociations avec Moscou. Compte tenu de son caractère très limité, la présence ukrainienne dans l’oblast de Belgorod a peu de chances de peser dans la balance diplomatique. Elle pourrait, en revanche, avoir une valeur politique non négligeable, alors que le discours du Kremlin trouve un écho de plus en plus large à Washington.
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Dans un entretien accordé à la fin de mars au site d’information RBK Ukraine, Abbas Galliamov, ancien conseiller du Kremlin désormais en exil, estimait qu’il s’agit d’abord d’un moyen de démentir les assertions de la Maison Blanche et de son émissaire Steve Witkoff, laissant entendre que la défaite ukrainienne est inévitable à terme et que des concessions sont nécessaires pour mettre fin aux hostilités. « Les Américains lisent les nouvelles et constatent que l’Ukraine a lancé une contre-offensive en territoire russe, dit-il. Après cela, l’affirmation de Witkoff selon laquelle les Ukrainiens sont déjà à genou ne semble plus aussi convaincante. »
« Il y a un vrai effort de communication politique », confirme Thibault Fouillet. « C’est une façon de dire : “Ne nous enterrez pas trop vite. Nous sommes encore capables d’être actifs et surprenants”. » Quant à son efficacité stratégique, « tout dépendra de la réaction russe », juge le chercheur. « Dans le cas de Koursk, l’objectif était d’alléger la pression dans le Donbass, ce qui n’a pas vraiment fonctionné parce que les Russes ont choisi dès le début de temporiser. Pour le moment, on ne peut pas dire si cette diversion a fonctionné à Belgorod. »